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Plateforme ouverte du patrimoine

Les Biches

Identification du bien culturel

N°Inventaire

2019.2.1

Domaine

Titre

Les Biches

Précision auteur

Bordeaux, 1879 ; Paris, 1925

Période de création

Millésime de création

1920

Mesures

H. 150 cm ; l. 300 cm

Inscriptions

non signé

Sujet représenté

sujet eschatologique

Précisions sujet représenté

Ce dessin s’insert dans la troisième période, cycle des projets d’art décoratif. Depuis la Guerre, et même un peu avant, l’Etat français a souhaité remettre à l’honneur l’art de la tapisserie, en demandant aux artistes des cartons pour les Gobelins et Beauvais. Au même moment, la mode des décorations murales est elle aussi en plein essor. Les intérieurs élégants s’ornent de tissus et de paravents, et la mode des arts du feu suscite un regain d’intérêt. De même, les théâtres garnissent leurs murs et leurs plafonds de panneaux décoratifs et les églises se parent de nouveaux vitraux. L’influence des Ballets russes oriente peintres et décorateurs vers les sujets orientaux, comme la littérature d’un Pierre Loti par exemple. Une fois encore, Dorignac modifie son parcours artistique. En 1914, il interrompt brutalement sa série de figures noires, malgré le succès qu’elles rencontrent, pour des projets de décoration. Remontant les siècles, il puise ses thèmes dans le passé et l’Orient. Il dessine des projets pour des vases, des pots, des tapisseries, des mosaïques, des murs et des plafonds. Cette entreprise à laquelle il consacra six ans fut, dans l’ensemble de sa production, celle qui eut les plus grandes conséquences. C’est elle qui contribua bien davantage que les précédentes à accroître la portée de son art, au point que l’Etat, s’y étant intéressé, le mit à l’abri du besoin. La production de cette période se répartit en deux thématiques : le religieux et le profane. L’artiste n’eut de cesse de composer sur des feuilles aux dimensions définitives un registre très fourni d’allégories et de scènes religieuses, qu’il associa à des sujets orientaux agrémentés d’éléments végétaux décoratifs et d’oiseaux imaginaires ou réels. Le dessin est une force pour Dorignac. En observant Les Biches, on se rend compte de l’aisance avec laquelle l’artiste s’appliquait à mettre en évidence un oiseau, un écureuil ou même une fleur. Il est plus que probable qu’il faisait des recherches en amont dans des ouvrages illustrés, pour réunir les informations qui donneraient à sa composition un caractère d’authenticité. Si, à des degrés divers, les motifs se révèlent plutôt traités indépendamment les uns des autres, comme il est d’usage dans les scènes narratives, l’organisation rythmique des divers éléments gravite autour de l’axe central, comme en témoigne notre composition. Les Biches se présentent comme un univers complet, cohérent et lié à une iconographie orientale rappelant les miniatures ou les tapis persans, mais aussi parce que son nouveau macrocosme suscite la méditation. Depuis des siècles, l’Europe demande des leçons à l’Orient. Dorignac n’y dérogea pas. Largement reproduits par la gravure puis par la photographie, les motifs orientaux ont dû lui fournir un répertoire surabondant de thèmes iconographiques chrétiens et païens, d’où son goût pour la mosaïque et les étoffes. Mais désireux de sonder plus à fond les ressources orientales, il se rendait également au musée Guimet et au département des antiquités orientales et égyptiennes du Louvre. En 1921, Léonce Bénédite, directeur du musée du Luxembourg, confia à Dorignac la réalisation d’un projet de grand décor pour le Muséum sur le thème de la chasse à courre. Projet qui resta au stade de l’étude puisqu’il ne fut pas accepté par les autorités compétentes. En revanche, un autre projet, toujours confié par Léonce Bénédite, fut réalisé pour un plafond d’un théâtre parisien. Les archives sont hélas muettes mais nous savons, par un témoignage d’une des filles de Dorignac, que sa mère et elle se rendaient journellement sur place pour assister à l’avancement des travaux. Ce plafond n’a pas été retrouvé à ce jour. A-t-il été détruit ou repeint ? On peut le supposer. Il n’en demeure pas moins que l’iconographie de ce projet, connue par deux dessins préparatoires datés vers 1922, reprend le thème développé dans notre version antérieure : un couple de cervidés sous un arbre, entouré d’animaux variés, le tout dans une nature luxuriante. Au centre donc, une biche couchée s’inscrit dans l’exact espace créé par les pattes du cerf qui lui est debout; les deux animaux se regardent, museau presque contre museau. Un arbre au tronc ployé forme à la fois un abri pour les bêtes et un perchoir pour un couple de faisans dorés à gauche, un écureuil au centre, et un couple de merles noirs à droite. Au sol, à gauche, un couple de pigeons et à droite, un couple de colombes évoquent la saison des amours. La partie inférieure du dessin est ici coupée, mais le musée des beaux-arts de Libourne possède aujourd'hui deux autres dessins retrouvés plus tardivement, et qui correspondent bien à cette partie manquante. On y retrouve la suite des corps des perdrix, du dindon et du canard, ainsi qu'une huppe. Bestiaire qui n’est pas sans évoquer le décor de certaines tombes de l’Egypte antique et qui renvoie de toute façon à la symbolique orientale. En effet, la représentation de ces animaux, qui pourrait apparaître mièvre au premier abord, évoque tout au contraire les mystères de la vie et incite le spectateur à une réflexion eschatologique. Car l’écureuil représente à merveille l’art de savoir distinguer les choses essentielles des choses superficielles. Le cerf et la biche sont symboles de la régénération de la vie. Le merle, lui, est capable de nous associer, grâce à son chant harmonieux, aux pouvoirs régénérateurs de l’au-delà de l’inconscient. La pintade est promesse de résurrection, alors que le pigeon et la colombe sont promesse d’amour, de douceur, de paix, d’harmonie et de bonheur. La composition est cernée d’une bordure inachevée de fleurons, ce qui rappelle les tapis et miniatures persanes. Le dessin est précis et apporte tous les éléments qui seront nécessaires à l’exécution de l’œuvre définitive. C’est encore une fois à l’aide du fusain d’un noir profond éclairé du blanc des rehauts que Dorignac parvient, d’un geste rapide et assuré, à modeler les formes et à leur donner du relief. Des essais de couleur sont réalisés sur les couples de faisans et de merles. La perspective n’est pas occidentale. Ici, pas de plans successifs, chaque élément du dessin conduit à un autre élément et ainsi de suite, tout comme l’artiste et le spectateur sont reliés à tout ce qui est passé et à venir.

Contexte historique

Genèse

projet de décor

Historique

Léon-Georges Dorignac est né à Bordeaux le 8 novembre 1879, rue Leyteire où résidait sa mère Anna Amaniou, « de père non nommé » selon la fiche d’état civil, mais qui n’était autre que Jean-Marie Dorignac qui le reconnaîtra en 1882. Le berceau familial des Dorignac est Bagnères-de-Bigorre. Dans ce pays de hautes montagnes, les traditions et les légendes se perpétuent de génération en génération. Naturellement simple et croyants, ces montagnards avaient l’imagination nourrie de traditions et aussi d’histoires de sorciers, de revenants et d’apparitions que l’on racontait le soir durant les veillées. On retrouvera plus tard ces légendes et ces mythes dans les grandes compositions décoratives de Georges, le futur peintre. Ses attaches avec sa terre natale et le Pays Basque sont si profondes qu’il n’aura de cesse d’y revenir après la Guerre avec ses gendres, les peintres André Hébuterne et Haïm dit Henri Epstein. Les ancêtres de Georges Dorignac étaient marbriers ou tisserands. Le premier à briser cette longue chaîne fut Jean-Marie Dorignac, père de l’artiste. Il s’installa à Bordeaux dans les années 1870, pour intégrer la Compagnie des Chemins de fer du Midi et du canal latéral à la Garonne. Il épousa Anna Amaniou en 1882 dont il eut quatre enfants, trois garçons et une fille. Les garçons, de santé fragile, furent réformés. Les talents précoces de l’enfant furent détectés à l’école élémentaire. Répondant à l’inclination de son fils, le père le fit entrer en 1892, à l’âge de treize ans, à l’école des Beaux-Arts de Bordeaux, alors dirigée par Achille Zo, peintre de scènes populaires, de la vie au Pays Basque, de tauromachie et d’orientalisme. Dès la première année d’un enseignement rigoureux, Dorignac remporte une mention pour ses travaux et cinq ans plus tard, en 1897, il reçoit des mains du jury, présidé par Henri de La Ville de Mirmont et composé de Louis Auguin, Achille Zo et Léo Drouyn, les premiers prix de figure d’après le modèle vivant, d’après nature et d’ornement. Ayant reçu les meilleures distinctions des 417 élèves inscrits pendant l’année scolaire 1897-1898, Dorignac ambitionne de conquérir Paris. Il y arrive en 1898, accueilli chez une famille amie, les Lamourdedieu. Installé dans le 15e arrondissement, le jeune homme de dix-huit ans intègre l’atelier de Léon Bonnat à l’Ecole nationale des beaux-arts. Mais le temps des désillusions vint bien vite. Lassé par les conformismes en vigueur, le jeune homme qui avait ses idées et de l’entêtement, décide de quitter l’école et de se lancer dans une carrière de peintre indépendant. De quoi se composait au juste son bagage artistique ? D’une formation à l’Ecole des beaux-arts, de quelques tableaux étudiés dans le musée de Bordeaux, de la richesse des paysages et des histoires gravées dans la pierre des abbayes du sud ouest qui lui serviront de canevas pour l’édification des grands décors qu’il entreprendra à partir de 1914. Paris, à l’aube du XXe siècle, offrait au jeune homme l’occasion de découvrir un milieu propice à la création et lui donnait l’occasion de s’instruire en allant au Louvre étudier les maîtres. En 1900, s’ouvrent l’Exposition universelles et les Jeux Olympiques. Le panorama artistique, en véritable ébullition, est d’une richesse extrême. Peintres et sculpteurs provenant du monde entier trouvent refuge dans un Montparnasse à la fois champêtre et proche du centre urbain. Grâce à l’ouverture de la ligne A du Métropolitain, reliant Montmartre à Montparnasse, cette nouvelle république des arts, propice aux échanges, connait dès lors une vitalité extrême. Dans le quartier de Montparnasse se côtoient peintres, sculpteurs, musiciens et poètes. Fleurissent de toutes parts des cités d’artistes, des ateliers privés, des académies avec modèles vivants et cours du soir. En 1901, Dorignac est réformé pour hypertrophie du cœur, puis déclaré inapte au service militaire pour « gastrite chronique » et enfin écarté définitivement en 1916 pour « faiblesse générale très prononcée et cardiopathie ». Cette même année 1901, le jeune homme regagne Paris où il s’installe à Montmartre avec sa compagne Céline-Berthe Lacoste, jeune veuve, mère d’une fillette de cinq ans, Suzanne, élevée par Dorignac. Entre 1902 et 1910, années d’expérimentation, l’artiste provincial inconnu qu’il est, doit trouver les moyens d’entrer en relation avec des gens influents, rechercher des clients, créer des contacts avec un milieu totalement nouveau pour lui. Parallèlement, il doit assumer la paternité de trois filles, Georgette-Céline, Geneviève et Yvette. En 1907, la famille s’installe à Verneuil-sur-Seine, en pleine campagne. C’est au Clos Rosette, nom de la maison, que se produit un événement terrible pour l’artiste. Mis en confiance par un escroc qui lui achète des œuvres, Dorignac se fait berner par cet homme qui lui dérobe quatre années de production artistique. Ce vol laissa Dorignac sans ressources et totalement désemparé. Ruiné, le peintre doit quitter Verneuil et trouve refuge à la Ruche, dans le « coin des Princes », en 1910. Il va devoir surmonter cet épisode tragique. Dès lors, le grand tournant de son existence s’annonce. Dorignac s’aperçoit qu’il règne à la Ruche une solidarité de cœur extraordinaire. Il aura été l’un des rares Français à tisser des liens amicaux avec ceux qui, ayant quitté leur patrie pour se regrouper en ces lieux communautaires, vont transformer la scène artistique parisienne. La rencontre avec ces ambassadeurs d’innovations étonnantes va lui apporter la révélation d’un art transfiguré dont il n’avait pas conscience. Il édifie alors un art sur des bases plus conceptuelles. Ses recherches l’amènent à une suite d’extraordinaires figures noires. Il compose désormais un registre de visages et de nus noirs extravertis et vigoureux. Il les expose dès 1912 au Salon des Indépendants. Outre ses amis étrangers, Dorignac peut également compter sur d’anciens amis, tels André Derain, Dunoyer de Segonzac et son ami de jeunesse, le Montois Charles Despiau. Grâce à ce dernier, il expose ses œuvres au Salon d’Automne et au Salon des Tuileries. Comme lui, il croit à un idéal dominé par la quête de la beauté et aspire à un univers plastique intemporel où le Beau prime sur tout. Le soutien du céramiste André Metthey a aussi eu son importance. De fait, le peintre et le potier sont à l’unisson pour représenter les nus emmêlés, les animaux, les fleurs et les arabesques venues en droite ligne de la tradition persane à la façon des Sassanides que le céramiste recompose sur ses plats, ses pots et ses pichets. La guerre de 1914 vint interrompre cette effervescence artistique. Beaucoup d’artistes partent au front, y compris des étrangers qui s’engagent pour la France. Ceux qui restent à l’arrière, dont Dorignac, ont la vie dure, d’autant plus qu’en 1915, atteint d’un ulcère à l’estomac, l’artiste est contraint à l’hospitalisation durant deux mois. Remis, il entreprend alors un nouveau tournant dans sa peinture et créé des projets de tapisserie et de céramique qu’il montrera plus tard aux Salons. En 1916, au moment où Verdun est le théâtre de la terrible offensive allemande, la presse dénonce la dérive de l’art français qui a précédé 1914 et l’abandon de ses racines. Désormais, il faut revenir à des valeurs nationales, quitter l’esthétique bohème pour une esthétique plus traditionnelle, retourner aux classique, au monde des cathédrales, au village et aux ciels azurés. C’est le grand retour de la figuration, le fameux « retour à l’ordre ». Les yeux se tournent vers la figure tutélaire d’ Ingres. Dorignac manifeste alors son intérêt pour les décors d’une saveur bien française. Bénéficiant du soutien à la portée considérable d’Armand Dayot, Inspecteur général des Beaux-Arts, il va pouvoir maintenant passer à des créations mûries, exécutées avec toute la réflexion nécessaire pour la réalisation de décors pour céramiques, tapisseries, vitraux, murs et plafonds. Puis vinrent l’Armistice et la paix revenue. Commence alors la deuxième grande période artistique du siècle. Mis à l’abri du besoin par l’achat de ses œuvres par l’Etat, Dorignac retrouve la joie de vivre. Au début des années 1920, il voyage dans le sud, d’abord dans son cher Pays Basque, puis en Auvergne, en Provence, en Corse. En 1925, en pleine effervescence créatrice, et alors que la galerie Marcel-Bernheim lui consacre une exposition, Dorignac est hospitalisé d’urgence. Opéré de l’estomac, il meurt le 21 décembre. On peut donc distinguer quatre périodes dans la carrière de Dorignac : 1901-1911, avec pour thème principal la vie familiale ; 1911-1914 avec les portraits, les travailleurs et les nus ; 1914-1922 avec les projets d’art décoratif ; et enfin 1922-1925 avec le retour de deux thèmes récurrents dans sa carrière, le nu et le paysage.

Informations juridiques

Statut juridique

achat, Ville de Libourne, Musée des Beaux-Arts et d'Archéologie

Date acquisition

07/06/2019

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