Architecture industrielle ; usine ; usine de produits agro-alimentaires ; minoterie
Anciens grands moulins et silos Vilgrain
Grand Est ; Meurthe-et-Moselle (54) ; Nancy ; 36 rue du Colonel-Paul-Daum ; 2 rue de Château-Salins ; 6 et 30 rue Sébastien-Leclerc
Colonel-Paul-Daum (rue du) 36 ; Château-Salins (rue de) 2 ; Sébastien-Leclerc (rue) 6 et 30
20e siècle
20e siècle
1919 ; 1946
Construits sur un emplacement où la présence d’un moulin est attestée dès le XIIe siècle, ces imposantes constructions s’inscrivent dans une vague nationale de modernisation des techniques de minoterie au début du XXe siècle. Meuniers originaires de Metz qu’ils quittent lors de l’Annexion de la Moselle à l’Empire allemand en 1871 – la famille Vilgrain exploitait y le moulin des Onze-Tournants – Jean-Baptiste et Louis-Antoine Vilgrain s’imposent, avec la marque « Gruau de Lorraine plomb d’or », comme les figures incontournables de la meunerie dans l’Est de la France. Louis avait effectué en 1893 un voyage à Budapest pour en rapporter le secret d’une farine considérée comme « pure », la mouture hongroise, qui passait pour être la meilleure d’Europe. En 1910, Vilgrain charge son gendre, l’architecte Pierre Le Bourgeois, de transformer les moulins de Nancy en véritable usine moderne, afin de remplacer l’ancien moulin de 1885. Ils deviennent ainsi le plus grand site minotier de Meurthe-et-Moselle. A la frontière entre architecture industrielle et architecture agricole, ces moulins furent construits avec la collaboration du strasbourgeois Eugène Haug, architecte spécialisé dans ce domaine. Celui-ci est amené, dès ce chantier, à mettre au point le prototype du grand moulin industriel, dont il bâtit un grand nombre d’exemples en France (Corbeil, Pantin, Villeurbanne), en Alsace-Moselle annexée (Strasbourg, Illkirch, Sarreguemines), en Belgique (Bruxelles), et jusqu’au Maroc (Marrakech, Casablanca). On reconnaît, dans les lignes pures et les nobles proportions de ses réalisations, le talent de Haug pour mêler esthétique et parfaite connaissance des nécessités industrielles, même si l’aspect quelque peu néo-normand des toitures de l’édifice d’origine était sans doute du crayon de Le Bourgeois, natif de Dieppe. Les grands moulins Vilgrain sont achevés en 1917. Equipés de l’électricité, ils sont complétés en 1919 par un premier silo situé au bord du canal de la Marne au Rhin, également de Le Bourgeois, mettant ainsi les grains venus du plateau lorrain directement en contact avec l’activité des hommes. Un long souterrain relie ce silo au bâtiment principal : il permet, grâce à une bande transporteuse, d’amener le blé des péniches au moulin. Très endommagés par les bombardements de la Grande Guerre, les moulins sont restaurés dans les années 1930 par les architectes Jacques et Michel André, de Nancy, tandis que les grands silos à cellules polygonales en béton armé construits contre le moulin en 1923 par l’entreprise Froment-Clavier sont agrandis ; une nécessité pour accroître le rendement de la minoterie. Il faut dire que pendant la guerre, Ernest Vilgrain, le fils du fondateur, avait pu affiner sa connaissance des techniques de production à grande échelle et à moindre coût puisqu’il avait occupé le poste de sous-secrétaire d’Etat au Ravitaillement dans le cabinet Clémenceau. Au sortir du conflit, il fonde la société anonyme des Grands Moulins de Paris, et sa minoterie industrielle dans le XIIIe arrondissement de la capitale – un site récemment réhabilité en pôle universitaire – et se place ainsi à la tête d’une puissante entreprise devenue le fournisseur officiel de farine pour l’Etat. La Seconde Guerre mondiale n’épargne pas les moulins Vilgrain de Nancy qui sont incendiés. Dès 1946, les frères André reviennent sur le site pour reconstruire entièrement l’atelier de fabrication principal, en collaboration avec Jean Prouvé pour les ferronneries. Cette reconstruction est en partie financée par les dommages de guerre mais elle est également une opportunité pour la société de moderniser les bâtiments et les machines. L’aspect général de l’édifice est ainsi redessiné, les lignes de force verticales sont remplacées par des horizontales, et une vigie plus épurée s’élève en lieu et place de l’ancienne tour au couronnement pittoresque. Les travaux sont achevés en 1949, mais les frères André effectueront ponctuellement d’autres aménagements dans les années suivantes, notamment l’extension des bureaux et la construction de silos supplémentaires en 1953-1954. En 1989, la famille Vilgrain vend la minoterie au groupe Bouygues qui réduit considérablement l’activité minotière à Nancy. Le matériel de production est déposé et acheminé au Pakistan et, en 1997, le propriétaire projette de détruire les bâtiments. Ce projet fait immédiatement polémique et la demande de démolition refusée est suivie de différents projets de réaffectation qui n’ont pour le moment pas abouti. Actuellement, la production (automatisée) se poursuit toujours sur une petite partie du site.
L’atelier de fabrication principal, qui est la partie la plus impressionnante et la plus représentative du site des grands moulins, a été construit perpendiculairement au bras de décharge de la Meurthe (dit « bras vert »). Construit sur des piles, il forme donc un pont entre la rive et l’île Vilgrain. A l’extérieur, le bâtiment présente neuf niveaux (dont un attique et un étage sous combles). Contrairement à ce que pourrait laisser penser cet aspect extérieur, le moulin comprend une ossature métallique sur fondations en béton. Les étages sont, sur leur plus grande partie, en encorbellement sur le rez-de-chaussée. L’ossature porte des planchers de bois. Les parements des façades sont constitués de plaques de béton fixées sur la charpente par des boulons. Une partie des façades principales (rez-de-chaussée, parties latérales moins percées, attique) est revêtue de briques, introduisant un subtil jeu sur les matériaux et les couleurs. Ces parties correspondent, côté rive, à des chambres à farine, et, côté île, à des silos. De larges baies oblongues éclairent les plateaux de l’atelier de fabrication et de la chambre de nettoyage, occupant le centre du bâtiment. Les lignes horizontales sont renforcées par des bandeaux formant un appui continu pour toutes les ouvertures d’un même niveau. Trois tours abritent des circulations verticales. Elles rythment les façades amont et aval en marquant une saillie par rapport au plan des façades. Côté amont, l’unique tour, en briques rouges, porte l’horloge et est coiffée d’une vigie à toit terrasse. La tour vient rompre la surface blanche aux deux-tiers de la longueur de l’édifice. L’élégante toiture à croupes qui règne sur l’ensemble du moulin est interrompue par un lanterneau courant sur tous les pans et doublant visuellement l’effet produit par l’étage d’attique. Si les lignes horizontales dominent (alors que les lignes verticales caractérisaient l’ancien moulin détruit lors de la Seconde Guerre) et forment le seul élément de décor de l’édifice des frères André, tout dans les volumes et l’organisation générale du bâtiment principal rappelle l’ancienne minoterie Vilgrain de Le Bourgeois et Haug. Sur la rive, le moulin est cantonné par des bâtiments moins élevés qui sont d’anciens magasins à farine. Côté Nord, la masse des silos polygonaux de Froment-Clavier (construits en 1923, agrandis dans les années 1930) domine la berge du bras de décharge. Sur l’île Vilgrain, le moulin est flanqué à l’Est par une construction sur deux niveaux à toit terrasse. Elle abrite la centrale électrique et sa turbine, et la chaufferie. En bord du canal de la Marne au Rhin se trouvent deux silos, l’un a été construit en 1912 et reconstruit en 1946, l’autre édifié en 1953-54. Le premier est constitué d’un volume principal en forme de parallélépipède rectangle auquel s’adjoignent deux autres volumes moins hauts, l’un côté canal, l’autre côté cour. Côté canal, la façade est percée de deux travées de fenêtres que viennent souligner des bandeaux en surépaisseur d’enduit de béton. On y voit également un fronton incurvé soutenu par des consoles à redents successifs et décoré de mosaïques de faïence affichant l’enseigne Vilgrain et Cie. Ce silo est couvert de toits terrasses. Le second silo est composé de deux volumes accolés en forme de parallélépipèdes rectangles. Le premier, face au canal culmine à 35 mètres. Il est percé de trois travées de fenêtres dont la travée centrale se poursuit en niveau supérieur couronnant l’édifice et formant un fronton. Il est couvert d’une toiture à deux pans en tuiles. Le volume principal est plus long mais moins large et moins haut que le précédent. Il est couvert de toitures à pente douce en tuiles qui bordent un niveau supérieur plus étroit, lui même couvert d’une toiture à deux pans. Ses façades latérales sont percées de cinq travées de fenêtres carrées. Les murs de ce silo sont enduits de béton ton pierre et rythmés par des bandeaux verticaux en surépaisseur de couleur ocre.
Les grands moulins et les anciens silos Vilgrain constituent un ensemble d’architecture industrielle particulièrement marquant dans le paysage de la ville de Nancy. Plusieurs grands noms de l’architecture nancéienne du XXe siècle ont successivement ou conjointement œuvré à sa construction (Le Bourgeois, les frères André, France-Lanord et Bichaton, Jean Prouvé), constituant l’un des exemples les plus aboutis de minoterie industrielle. Les architectes et artisans y ont travaillé à une organisation fonctionnelle des bâtiments, sans pour autant renier une recherche esthétique sobre et élégante qui caractérise les façades. Le moulin reconstruit s’inscrit bien dans le site, reprend l’implantation et les volumes du moulin détruit lors de la Seconde Guerre mondiale et marque parfaitement son époque de par son esthétique composée de lignes horizontales et d’un harmonieux jeu de matériaux et de couleurs. D’ors et déjà considéré par les Nancéiens comme un véritable monument patrimonial, ce géant de béton, de brique et d’acier est emblématique de l’âge d’or de l’industrie. A l’échelle de la région, il symbolise la réussite de la famille lorraine Vilgrain dont l’entreprise est devenue l’un des grands groupes français du secteur agroalimentaire. Il s’agit par ailleurs du seul moulin monumental de ce type en Lorraine (celui de Sarreguemines, plus petit, est moins bien conservé et ne présente pas de réelles qualités esthétiques) et le seul reconstruit et développé après la Seconde Guerre mondiale.
2015
2020
La Manufacture du Patrimoine / Guilmeau Stéphanie ; Burtard Alexandre ; Joly Rebecca ; Mathiotte Olivier
Dossier individuel