Architecture civile publique ; édifice de l'administration ou de la vie publique ; établissement administratif ; ministère
Ministère de l’Économie et des Finances
Île-de-France ; Paris (75) ; Paris 12e Arrondissement ; 132 rue de Bercy
Bercy (rue de) 132
20e siècle
20e siècle
1989
La décision de construire le ministère de l’Économie, des Finances et du Budget (MEFB) fait suite à la première conférence de presse accordée par François Mitterrand, le 24 septembre 1981. Au cours de cette prise de parole publique, le nouveau président de la République esquisse les premières lignes d’une politique de Grands Travaux qu’il souhaite voir réaliser. Il annonce en particulier sa volonté d’étendre la fonction de musée à l’ensemble du Palais du Louvre, opération bientôt désignée sous l’appellation Grand Louvre, qui suppose le déménagement des bureaux du MEFB, hébergé dans l’aile Richelieu depuis 1875. Cette décision permet de résoudre les difficultés causées par la mitoyenneté de deux institutions publiques aux fonctions différentes, ainsi que les problèmes liés à l’étroitesse des locaux afférents aux administrations financières rue de Rivoli. En tant que coordonnateur pour le transfert du ministère, Guy Vidal se voit confier une mission de préfiguration entre octobre 1981 et janvier 1982. En raison de l’urgence des besoins, on opte pour l’organisation d’un concours national plutôt qu’international, dont l’appel est publié dans la presse spécialisée en mai 1982. 137 équipes concurrentes participent à la compétition qui se déroule entre les mois de juin et septembre de la même année. En novembre 1982, un jury composé de trois représentants du maître d’ouvrage (Jacques Baudrier, Michel Prada et Guy Vidal), trois architectes (Yves Lion, Roland Simounet et James Stirling) et trois personnalités du monde de l’architecture (Yvonne Brunhammer, Marc Émery et Pierre-Yves Ligen) présélectionne quatre esquisses parmi les 137 concurrents. Exposées entre janvier et février 1983 à l’Hôtel de la Monnaie, les quatre esquisses retenues sont le fait des architectes Christian Martel et François Jarrige, de l’atelier d’architecture Georges Pencreac’h, de l’équipe constituée par Alain Beraud, Benoît Crépet, Robert Grosjean et Jean-Philippe Pargade et des associés de l’AUA, Borja Huidobro, Paul Chemetov, Christian Devillers auxquels se sont joints pour l’occasion Émile Duhart-Harosteguy et Jean – Baptiste Lacoudre. Le 17 décembre 1982, François Mitterrand retient ce dernier projet en raison de « sa composition à la fois forte et contemporaine » et son « échelle sans monumentalité excessive, bien intégrée au site ». En 1984, cette décision fera l’objet d’une polémique relayée par L’Architecture d’aujourd’hui où deux conceptions de la modernité s’affrontent, celles des architectes Paul Chemetov et Jean Nouvel. Dans le cadre de la loi de protection de la nature, l’urbaniste Michel Steinebach se voit confier une étude d’impact durant l’année 1983, afin de vérifier que l’importance des dimensions des ouvrages et l’incidence de ces aménagements sur le milieu naturel ne portent pas atteinte à ce dernier. L’étude conclut que l’édifice n’engendre aucun dommage, mais valorise au contraire la fin du réaménagement de la ZAC Gare de Lyon – Bercy. Au même moment, les études architecturales se poursuivent en plusieurs phases (décembre 1982, 1ère phase d’étude ; avril 1983, 2e phase d’étude ; septembre 1983, 3e phase d’étude) et imposent des révisions techniques conséquentes : surélévation de 3 m de l’édifice pour éviter les crues de la Seine, transformation du bâtiment en IGH, ajout d’une deuxième douve. À la mise au point de l’avant-projet sommaire entre septembre 1983 et janvier 1984, succèdent plusieurs dépôts de permis de construire dont les premiers sont accordés entre février et mars 1984, alors que les premiers travaux de démolition sont en cours depuis juillet 1983. L’édification du ministère s’est déroulée sur 44 mois suivant un calendrier serré débuté en 1984. L’année 1985 voit la construction du sous-sol, tandis que le chantier – un temps ralenti par la cohabitation de 1986 et l’hostilité envers le projet du nouveau ministre Édouard Balladur – se poursuit par la construction du bâtiment central en février 1987, la construction du bâtiment du côté des voies ferrées en septembre 1987 et par la construction du côté Seine en juillet 1988. Les premiers occupants s’installent avant la livraison finale de la cité administrative intervenue en 1989.
La commande du ministère répond à quatre besoins principaux : réunir les services dispersés de l’institution, améliorer les conditions de travail des agents (aménagement intérieur, étude des liaisons), moderniser les méthodes de gestion et prévoir l’adaptation de l’édifice aux futures évolutions administratives. Le maître d’ouvrage argue la nécessité de concevoir une véritable cité administrative et « un ensemble architectural qui marque l’esthétique et l’urbanisme modernes », tout en insistant sur le respect de la qualité de vie du quartier. Le programme complexe de cette cité administrative prévoit la construction de 150 000 m2 de surface abritant essentiellement des bureaux pour les services de l’administration centrale auxquels il faut ajouter quatre cabinets ministériels, des salles de conférences et de séminaires, des équipements sociaux pour le personnel (gymnase, bibliothèque, crèche, cafétérias) et une surface de 10 000 m2 réservée au ministère des Anciens combattants. Inséré entre la gare de Lyon et le quai de la Rapée, le site retenu en mars 1982 fait face au parc de Bercy et au palais omnisport d’Andrault et Parat, dont il est séparé par la double rangée d’arcades du viaduc supportant le métro aérien. Le terrain, ingrat et malcommode, est composé de la réunion de trois parcelles inégales formant un vaste parallélépipède de 3,5 hectares perpendiculaire à la Seine et cinq fois plus profond que large (parcelles Villiot et Bercy-La Rapée) et une fine bande courbe de 750 m coincée le long des voies ferrées de la gare de Lyon (parcelle Dalle). Ce choix fait l’objet d’une longue polémique en raison d’une situation peu attractive et de l’éloignement des autres ministères, mais aurait été appuyé conjointement par le maire de Paris, Jacques Chirac, et le président de la région, Michel Giraud. Le rééquilibrage de la ville vers l’Est parisien, où les implantations institutionnelles sont moins présentes, et l’impact structurant et valorisant de l’opération pour l’environnement urbain de la ZAC Gare de Lyon-Bercy, sont invoqués. Le positionnement du projet de Chemetov, Huidobro et Duhart-Harosteguy qui empiète sur le domaine fluvial fut également questionné : les critiques ont reproché au ministère d’être placé perpendiculairement à la Seine au contraire des édifices institutionnels parisiens qui lui font traditionnellement face (Palais de Chaillot, musée du Louvre, musée d’Orsay). Le parti adopté par les architectes repose sur l’affirmation de la présence du ministère en bord de Seine. Le plan présente trois corps de bâtiment principaux articulés autour d’un axe central dont le rôle de rue intérieure est de distribuer les circulations et d’assurer la liaison entre les services. Au nord, le bâtiment Necker, enserré en bordure des voies ferrées et de la rue de Bercy, présente une forme cintrée haute de six à huit étages. Construit sur une dalle légèrement surélevée, il est constitué de deux immeubles placés dans le prolongement l’un de l’autre où sont situés le restaurant et la crèche du MEFB. À l’ouest, le bâtiment Vauban, dont la hauteur est comprise entre deux et six étages, prend une forme de grille agencée autour de six patios. Ce damier rectangulaire où sont logés de nombreux bureaux est encadré par deux pavillons de l’ancienne douane qui ont été conservés et accueillent l’un une salle de conférences, l’autre des activités socio-culturelles (infirmerie, gymnase, salle polyvalente). À l’est, le bâtiment Colbert est disposé parallèlement à l’ancien mur des fermiers généraux et au viaduc de Bercy qui ont induit la construction de cette barre linéaire de 357 m continu. Cette « règle pétrifiée » dont les immenses piles plongent dans le fleuve est bordée par une double douve qui sert d’écrin, comme les halls d’accueil et les cours, à une trentaine d’œuvres d’art d’artistes renommés (Antoine Bourdelle, César, Pierre Soulages, etc.). Les architectes proposent une architecture officielle où s’expriment à la fois la puissance de l’institution gouvernementale – au point que la longueur de la façade perpendiculaire à la Seine est équivalente à celle de l’ancien ministère des Finances de la rue de Rivoli – et la métaphore du franchissement, du trait d’union et de l’ouvrage d’art. Cette barre linéaire abrite les cabinets ministériels, en léger décalé par rapport à l’axe de l’édifice, et les espaces d’accueil. Elle a été conçue comme un véritable pont habité de neuf étages qui enjambe à ses deux extrémités la rue de Bercy et le quai de la Rapée et forme deux portes d’entrée sur la ville. L’horizontalité de l’édifice est ainsi contrebalancée par la présence de ces deux portiques monumentaux de 72 m qui encadrent une série de portiques clos de plus petites dimensions. L’ensemble de cette mise en scène évoque à la fois les arcs de triomphe antiques et la Grande Arche de La Défense. À l’extérieur de l’édifice, le rythme des façades est assuré par une trame de 90 cm sur 90 cm qui régit l’ensemble de la cité administrative et permet de mettre en valeur les matériaux choisis pour habiller le ministère. À l’extérieur, on a opté pour un attelage rigoureux et équilibré de pierre, de béton et de verre teinté, tandis qu’à l’intérieur les espaces d’accueil et de réception (hall d’accueil, salon, salle à manger, salle de conférences) éclairés par de larges baies sont revêtus d’un décor mural en érable et en frêne et est pourvu d’un sol en marbre qui reçoit du mobilier conçu par les plus grands designers (Charles et Ray Eames, Le Corbusier). Le faste de cette mégastructure est cependant pondéré par le classicisme du traitement de l’ornementation et de la modénature.
"Le nombre élevé de participants (137) lors du concours national lancé pour la construction du nouveau ministère de l’Économie, des Finances et du Budget témoigne à lui seul de l’importance que revêt l’édifice au regard de l’histoire de l’architecture française. Cette compétition, à laquelle participèrent les plus grands architectes français du moment, s’inscrit d’ailleurs dans la lignée des grands concours lancés à Paris dans les années 1960 et 1970 (consultation internationale pour l’aménagement du quartier des Halles, concours international d’architecture pour la réalisation du Centre Beaubourg). Le statut iconique du ministère repose sur son affiliation à la politique des Grands Travaux initiée par François Mitterrand au début de son premier septennat et sur les liens qu’il entretient avec les réalisations architecturales d’envergure construites dans le cadre de cette politique (Grand Louvre, Opéra Bastille, Cité des sciences et de l’industrie, parc et cité musicale de la Villette, etc.). Le retentissement des débats et polémiques que sa création a stimulé (implantation, projet, architectes) ont également contribué à faire de l’édifice – parfois qualifié d’architecture stalinienne – une référence. Le concours et la réalisation du ministère ont ainsi été abondamment commentés dans la presse professionnelle française et étrangère, aussi bien que dans la presse généraliste. En cela, la conception de l’édifice est un marqueur temporel déterminant qui a contribué aux réflexions théoriques de son époque et à la renommée de l’architecture française des années 1980. Enfin, la forme atypique du ministère remet au goût du jour une typologie ancienne, celle du pont habité, dont l’origine remonte au Moyen Age. L’usage d’un viaduc linéaire continu inscrit en effet l’édifice dans une histoire riche, dont les exemples parisiens ont disparu à l’instar du Pont-au-Change, mais dont le pont habité de Rohan à Landerneau ou le Ponte Vecchio de Florence sont le rappel. En réactivant cette typologie du pont habité et en empruntant certains codes de l’architecture castrale (douves, cour d’honneur), les architectes mettent au point une mégastructure singulière qui se veut à la fois symbole du pouvoir et symbole d’un lien entre l’État et les citoyens. On peut également voir dans ce bâtiment la résurgence du concours perdu d’Évry conçu par l’AUA (1971-1972), voire du Monument continu, le projet radical pensé une quinzaine d’années auparavant par les architectes de Superstudio (1969)."
2016
2020
Mathiotte Olivier ; Noyer-Duplaix Léo
Dossier individuel