Architecture de culture recherche sport ou loisir ; édifice et aménagement de culture recherche sport ou loisir ; édifice sportif ; piscine
Piscine intercommunale
Grand Est ; Marne (51) ; Suippes ; Chemin de Sainte-Menehould
Sainte-Menehould (chemin de)
000 AI 7
21e siècle
21e siècle
1993
Le projet de construction de piscine à Suippes est initié en 1990 par Jean Machet, alors sénateur de la Marne, maire de Jonchery-sur-Suippe et vice-président du conseil général de la Marne. Il répond à deux ambitions. D’une part, cet équipement est présenté comme une nécessité pédagogique permettant d’assurer un accès à l’éducation sportive aux élèves de Suippes ou des communes rurales des environs. En effet, à cette époque, la commune rencontre des difficultés matérielles dues aux transports et à la difficulté de trouver des plages horaires pour enseigner la natation aux sein des piscines de Châlons-sur-Marne et de Mourmelon-le-Grand. D’autre part, ce projet est également présenté comme une opportunité pour l’Armée de terre en place à Suippes qui ne dispose pas de bassins d’entraînement. Une maîtrise d’ouvrage singulière prend forme regroupant seize collectivités rurales et l’Armée afin de créer un “équipement de première importance pour les enfants scolarisés mais aussi les populations rurales ainsi que les militaires et leurs familles”. Le District rural de la région de Suippes fédère ainsi 16 maires, 46 conseillers districaux qui représentent 175 conseillers municipaux ou 8 800 habitants. L’armée met à profit un terrain du camp militaire peu exploité appelé “Parc du Génie” d’environ 18 000 m² pour accueillir cette construction et de futurs équipements sportifs mutualisés. Déclassé du domaine public, ce terrain est mis à disposition du District dans le cadre d’un bail emphytéotique. Le District rural forme une commission “piscine districale” afin de construire le programme, organiser un concours et gérer les échanges avec la maîtrise d’œuvre. Le programme est questionné pendant plusieurs mois afin de concevoir une piscine adaptée “à un territoire rural” mais répondant aux besoins sportifs de l’armée et créant un “signal urbain”. Durant l’année 1990, des visites de “piscines-modèles” existantes en milieu rural sont réalisées par la commission (Vouziers, Bar-le-Duc, Verdun et Saint-Mihiel) afin de déterminer les grandes lignes du programme. Le programme imposé dans le cadre du concours lancé le 29 mars 1991 est celui-ci : “Piscine couverte sans toit ouvrant, un bassin de 25x10 m de 0,8 à 2 m de profondeur, maximum d’ensoleillement latéral (baies vitrées), 4 m de hauteur, gradins, pas de plongeoir, 2 à 3 vestiaires collectifs, 4 cabines individuelles par côté dont 1 handicapé, pas de terrasse, toit bac acier, parking, solarium, double sanitaire extérieur pour spectateurs, logement et garage. Architecte ayant réalisé des équipements sportifs. » Parmi les dix-sept candidatures, seuls cinq candidats présentent des références sportives et ont réalisé des piscines. Ils seront retenus pour la seconde phase du concours et invités à présenter une esquisse. Le projet retenu par la Commission et les autorités militaires est celui de l’architecte parisien De Busni. Il dessine un premier avant-projet sommaire fin 1991 et les plans définitifs en février 1992. Les entreprises sont mandatées dès 1992 et le chantier débute rapidement. Robert de Busni est assisté d’un conducteur de travaux (conseiller technique à la maîtrise d’ouvrage) représentant le Génie Militaire de Suippes. La charpente réalisée en atelier est montée en août 1992. La piscine est inaugurée le 18 septembre 1993. Un second concours est organisé en 1993 pour la conception de l’aménagement paysager. Le jury réuni le 25 mai 1993 retient 8 propositions sur les 16 parvenues pour la seconde phase. Le projet d’aménagement paysager choisi date de juillet 1993. Réalisé par le bureau d’études Terre & Paysages et le paysagiste Christian Prieux, il est partiellement mis en œuvre.
Implantée le long d’un axe structurant, à la lisière sud de Suippes, la piscine est conçue comme un appel visuel destiné à requalifier l’entrée sud de la commune. Elle s’insère comme un objet autonome au centre d’un parc verdoyant et planté aménagé en 1994 sur les plans du paysagiste Christian Prieux. “D’une architecture résolument moderne, alliant bois et vitrage, l’ouvrage se veut un signal à l’entrée de la ville, une sorte de réponse au silo qu’il jouxtera.” L’équipement possède une volumétrie compacte et expressive déterminée par les choix structurels audacieux de Robert de Busni. Deux arcs extérieurs massifs en lamellé-collé d’une hauteur de 17,39 m émergent du parc et soutiennent l’ensemble de la couverture. Le volume de la piscine s' inscrit dans un plan carré parfait de 36 m de côté, les arcs et leurs culées massives en béton s’implantent le long des diagonales de ce carré. Au centre des diagonales, le volume de la piscine est coiffé d’un dôme soulignant la composition géométrique rigoureuse de l’édifice. Les élévations résument le parti-pris architectural de l’architecte : aucun élément ne vient perturber la lecture des arcs en lamellé-collé. La couverture suspendue en bac acier forme plus des deux tiers des élévations et vient s’asseoir sur une maçonnerie continue d’agglos. Deux petits volumes en saillie ponctuent cette rigueur. Au nord, l’entrée principale de l’édifice est marquée par un balcon central hémicylindrique abritant, au rez-de-chaussée le SAS d’entrée desservant le hall d’accueil, et permettant d’accéder à l’étage à la grande salle de réunion devenue salle de sport. L’entrée monumentale est également soulignée par une verrière à deux pans soulignant l’axe de symétrie de la composition. Au sud, avant-corps central pyramidal entièrement constitué de verrières abrite l’espace solarium et pataugeoire. A l’intérieur, le plan témoigne d’une grande rationalité : les espaces techniques sont regroupés au nord sur deux niveaux pour que l’espace dédié aux bassins en double hauteur s’ouvre au sud sur le parc visible depuis de larges baies vitrées. Un axe de symétrie nord-sud permet ensuite d’organiser le plan. Au rez-de-chaussée, les locaux du personnel s’inscrivent au centre le long de cet axe et sont flanqués à l’est par les vestiaires hommes et à l’est par les vestiaires femmes. En périphérie s’implantent les bureaux et les locaux techniques (rangement, infirmerie, traitement d’eau, locaux chauffage) également accessibles depuis l’extérieur. L’étage quant à lui regroupe un logement de fonction (dont la réaffectation est en cours d’étude), une salle de sport avec vestiaires, une salle anniversaire, un espace hammam, et sous le dôme les gradins qui permettent d’admirer le bassin principal de 25 x 12,5 m. L’espace abritant les trois bassins (grand bassin, pataugeoire et toboggan) permet d’appréhender les qualités structurelles de l’édifice. L’ensemble de la charpente suspendue aux arcs extérieurs en lamellé collé est visible. Elle est réalisée en pin sylvestre et conserve ses couleurs d’origine et permet de lire la reprise des forces depuis le dôme central jusqu’au arbalétriers intérieurs longeant les façades. D’une grande légèreté, elle s’oppose au massif maçonné de briques silico abritant au nord l’ensemble des espaces techniques. La charpente suspendue permet également de travailler des façades non porteuses en murs-rideaux ouverts et vitrés. Ainsi, la lumière inonde l’espace des bassins grâce au dôme central en polycarbonate et aux châssis aluminium continus. Depuis la création de l’édifice, plusieurs phases de rénovation ont eu lieu. Plusieurs audits énergétiques ont également été réalisés et traduisent la volonté de la Communauté de Communes à s’engager fortement dans la nécessaire transition énergétique de son patrimoine en intégrant des énergies renouvelables.
La réalisation de la piscine de Suippes participe de l’essor constructif des nombreux établissements sportifs réalisés à partir des années 80 en France et dans le Grand Est en raison de la décentralisation et de la délégation de pouvoir aux communes. Elle illustre comment les constructions sportives deviennent des commandes municipales de plus en plus adaptées aux besoins des habitants et des utilisateurs. Il faut souligner l’ambition nécessaire aux communes rurales pour réaliser un équipement sportif utile et adapté malgré les difficultés induites par les disparités géographiques et la multiplication des maîtres d’ouvrage. La maîtrise d’ouvrage mutualisée (District et Armée de terre) témoigne d’une approche innovante et actuelle permettant une diversification des publics. Le choix d’un architecte spécialisé dans les constructions sportives malgré un programme modeste conçu à l’échelle des besoins du territoire, inscrit ce projet comme un manifeste de l’équipement sportif rural. Le projet réalisé par De Busni, témoigne d’une véritable recherche spatiale et volumétrique permise par les possibilités structurelles du lamellé-collé. Il s’inscrit dans une continuité en faisant écho à deux courants spécifiques : la typologie des piscines en dômes (piscine métallique Tournesol conçue en 1969) et les expérimentations structurelles de grande portée avec les équipements couverts par des arcs en lamellé collé au cours des années 90. La piscine de Suippes, par ses arcs extérieurs, sa charpente entièrement suspendue, sa rigueur géométrique et sa relation avec le parc peut être considérée comme l’aboutissement des recherches sur le lamellé-collé. Elle s’inscrit également avec cohérence dans l’œuvre de cet architecte spécialisé, dont le travail consiste à dessiner des équipements sportifs comme des « signaux urbains » volontairement identifiables et démonstratifs.
2023
Berger Jade ; Patrimoine Architecture histoire (PtAH)