Architecture industrielle ; usine ; usine de produits agro-alimentaires ; établissement vinicole
Centre de vinification Moët & Chandon ; site Mont-Aigu
Grand Est ; Marne (51) ; Oiry ; "Zone industrielle de Oiry ; avenue Pierre-et-Marie-Curie"
"Oiry (Zone industrielle de) ; Pierre-et-Marie-Curie (avenue)"
000 Y 964
21e siècle
21e siècle
2010 ; 2018
Fondée en 1743 à Epernay par Claude Moët, la maison Moët & Chandon, l’une des plus anciennes, n’a eu de cesse de faire évoluer au fil des générations son savoir-faire historique et d’accroître son vignoble pour devenir l’une des plus importantes et prestigieuses Maisons de Champagne du monde (aujourd’hui groupe Moët Hennessy – LVMH). Son domaine, le plus vaste de la région – plus de 1150 hectares de vignobles – s’étend sur la Montagne de Reims, la Côte des Blancs, la Vallée de la Marne, Sézanne et aussi dans l’Aube, bénéficiant des cépages majoritaires de la région (Pinot Noir, Pinot Meunier et Chardonnay) dont 50 % sont classés grands crus. La maison produit aujourd’hui 26 millions de bouteilles par an, qu’elle commercialise à travers le monde. En 2010, pour répondre à l’évolution de ses ventes et pour agrandir la cuverie et les caves historiquement installées à Epernay, avenue de Champagne, la maison décide de faire construire un nouveau site qui viendrait compléter et renforcer les capacités de production et de stockage déjà existantes. Le lieu choisi pour la construction de ce nouvel équipement est un terrain appartenant déjà à Möet & Chandon, situé à 8 kilomètres d’Epernay, au milieu des vignes, sur la Côte des Blancs – paysage qui est inscrit depuis 2015 au patrimoine de l’Unesco. Le site, appelé Mont Aigu du nom du coteau situé juste en face et sur lequel se trouve encore une loge de vigne (la loge Mont Aigu), est en contrebas du château de Saran, propriété de la maison depuis le XIXe siècle et servant aujourd’hui de lieu de réception du groupe LVMH. La nouvelle cuverie s’implante ainsi, au cœur du vaste domaine de la prestigieuse maison champenoise, dans la continuité des équipements déjà existants et des sites historiques marqueurs du paysage local. En 2011, l’architecte rémois Giovanni Pace est choisi pour cette ambitieuse réalisation qui est voulue dès l’origine comme un outil de production innovant, à la pointe des technologies de vinification et pilote dans la démarche de développement durable de la maison. La commande passée à Giovanni Pace par la Maison Moët & Chandon fut décomposée en phases indépendantes permettant de faire évoluer le projet au fil des besoins du groupe. A ce jour, six édifices ont été livrés, par phases, entre 2010 et 2018. La première cuverie – la plus grande – fut inaugurée en 2012 et la deuxième, livrée fin 2015. Giovanni Pace reçoit en 2014 le prix Grand Public Archicontemporaine pour les premiers bâtiments livrés. L’architecte poursuit encore aujourd’hui la collaboration avec la maison, avec le projet d’un nouveau bâtiment sur le site à l’arrière de ceux déjà existants.
Implanté le long de la route nationale, face aux coteaux et en co-visibilité avec le château de Saran et la loge Mont-Aigu, le site d’environ 40 000 m2, implanté sur un vaste terrain engazonné et végétalisé, se compose actuellement de deux cuveries, d’un atelier de tirage, de deux niveaux de caves de vieillissement, d’un atelier de dégorgement, d’un atelier d’habillage et de locaux sociaux et techniques. En arrivant sur le site, les deux bâtiments entièrement vitrés et visibles depuis la route sont les deux grandes cuveries édifiées successivement en 2012 et 2015. Les deux présentent de grandes similitudes structurelles et se font écho. La première construite – qui est aussi la première en arrivant sur le site – occupe un espace de 6000 m2 au sol. A demi enterré, le bâtiment à charpente métallique s’élève sur un niveau de 11 mètres sous poutres ne laissant apparaître hors de terre que les parties hautes, entièrement vitrées, de 4,50 mètres de haut. Formant une véritable nef ouverte sur les vignes environnantes, cet espace monumental, sans structures intermédiaires, accueille les nombreuses cuves de stockage et de vinification, de capacités différentes – permettant un processus de vinification affiné en fonction des parcelles de vignes. Ses façades entièrement vitrées, de 50 mètres de large et 120 mètres de long, sont scandées par des poteaux de béton disposés tous les 15 mètres. Une trame définie par un pas de 1,50 mètre rythme les vitrages, les garde-corps, les revêtements de sol et les luminaires des plafonds. Entre les deux bâtiments des cuveries et en contrebas suivant le dénivelé du terrain a été installée la zone de transit où arrivent et partent les citernes. Ce choix audacieux consistant à disposer à l’arrière les espaces dédiés au transport – qui ne sont, de fait, pas visibles en arrivant sur le site – permet ainsi de concentrer le regard sur les façades épurées des deux bâtiments principaux. A l’arrière des cuveries, accessibles par un couloir également entièrement vitré, ont été construits trois bâtiments accueillant les ateliers de tirage (où le vin est mis en bouteilles), de dégorgement (où la bouteille est libérée de son dépôt puis bouchée et muselée) et d’habillage (où la bouteille est étiquetée) ainsi que les locaux sociaux et techniques. Au centre se trouvent l’espace d’accueil et de réception des visiteurs et le laboratoire, au cœur du processus de vinification. Depuis cet espace, un escalier en béton armé relie les ateliers de production aux deux niveaux de caves. Véritable geste architectural, cet escalier à plusieurs volées, paliers intermédiaires et rampes, se déploie pour permettre une déambulation jusqu’à l’entrée des caves en sous-sol. Ces caves, d’une capacité de stockage de 60 millions de bouteilles, sont entièrement automatisées, les bouteilles étant retournées et les casiers de bouteilles déplacés par des robots autonomes. Depuis l’escalier, des points de vue vers ces caves ont été créés pour rendre visible le trésor de la maison et donner à voir le ballet continu des bouteilles de champagne. Les différents bâtiments qui composent le site répondent à trois besoins prioritaires énoncés par la maîtrise d’ouvrage et dont Giovanni Pace s’est pleinement saisi : la sécurité – l’esthétique et l’intégration paysagère – le fonctionnement du site et la performance industrielle. Conciliant ces trois objectifs, l’architecte a réussi le pari de créer un site de production à la hauteur des ambitions du groupe Moët & Chandon, à la pointe des technologies de vinification – avec une automatisation de la quasi-totalité des processus – permettant à la maison d’accroitre considérablement sa production (plus de 200 000 bouteilles sortent chaque jour du site). Dans un souci du détail pour le moindre élément de mobilier et de signalisation, mais également du matériel technique créé sur mesure, allant même jusqu’au choix de la couleur des gaines et des câbles techniques des différentes machines visibles, l’architecte et son équipe ont réalisé une œuvre complète, à la fois discrète et luxueuse, offrant au personnel des conditions de travail privilégiées. Traditionnellement aménagés dans des espaces borgnes, dans des sous-sols éclairés artificiellement, les cuveries et les ateliers de production du site Mont-Aigu relèvent d’un choix architectural fort mais aussi d’une volonté de donner aux employés – une cinquantaine de personnes travaillant sur site en même temps – un cadre de travail agréable, recevant une lumière naturelle et ouvert sur les vignes et les propriétés de la maison Moët & Chandon. Les choix architecturaux opérés par Giovanni Pace, en réponse à une volonté forte du commanditaire, l’ont également conduit à mettre l’esthétique au cœur de son projet. Avec leurs entablements en porte-à-faux s’alignant au socle et leurs longues façades entièrement vitrées, les bâtiments des cuveries font clairement référence à la Neue Nationalgalerie de Berlin construite en 1968 par Mies van der Rohe, source d’inspiration et d’admiration pour Giovanni Pace. Cette référence se retrouve également dans les choix structurels opérés pour l’aménagement des deux cuveries, vastes nefs sans structures intermédiaires et dont les plafonds à caissons sont des échos assumés à ceux que l’on retrouve sur l’immense toit du musée de Berlin. Par des gestes architecturaux et en hommage au maître allemand, Giovanni Pace a créé ici une œuvre complète, véritable écrin, en perpétuelle activité, protégeant et mettant en valeur les précieux trésors du vignoble.
L’architecte rémois d’origine italienne Giovanni Pace, dont l’œuvre est intimement lié au milieu viticole, confirme ici son ancrage dans le territoire champardennais comme une de ses acteurs locaux les plus présents et actifs, ce dont témoigne notamment son élection en 2011 comme président de la Maison de l’architecture de Champagne-Ardenne. Fréquemment sollicité par des maisons de champagne prestigieuses, il démontre un véritable souci d’adaptation de son travail d’architecte aux diverses problématiques qu’il rencontre. L’exceptionnel vignoble de la Côte des Blancs, classé au patrimoine de l’Unesco depuis 2015, constitue un des fils conducteurs du projet de Oiry. Sur le site Mont-Aigu, l’architecte porte à un degré très élevé d’exigence sa recherche sur l’insertion paysagère, en établissant une vaste structure épurée dont les lignes horizontales s’adaptent au terrain, en dissimulant aux regards les espaces techniques et les zones dévolues au transit et en anéantissant au maximum les frontières visuelles entre intérieur et extérieur grâce à ces spectaculaire linéaires de façades vitrées tirées comme un trait sur l’horizon. C’est ce même état d’esprit exigeant qui conduit Giovanni Pace à créer un univers à même de symboliser les processus de la vinification du champagne et de traduire le haut niveau d’exigence de la maison de luxe elle-même. Les choix architecturaux et esthétiques adoptés par l’architecte, dessinant et apportant un soin minutieux au moindre détail, répondent aux besoins exigeants de la production d’un champagne de haute qualité et de cuvées de prestige. Hommage explicite à la Neue Nationalgalerie de Berlin, le centre de vinification du site Mont – Aigu à Oiry transpose dans le vignoble champenois l’art épuré de Mies van der Rohe, dont l’influence sur Giovanni Pace est déterminante. Durant la phase d’étude et dans le souci de confirmer, affirmer et faire comprendre son parti-pris esthétique et fonctionnel, celui-ci ira jusqu’à emmener la maîtrise d’ouvrage et le bureau d’études techniques à Berlin, pour admirer le musée réalisé par l’architecte allemand.
2023
Privé
2023
La Manufacture du patrimoine - HAME - Olivier Mathiotte, 2021