Filature
Filature de coton
Scipion Mourgue & Cie, puisBoeking dit Sydenham, puisThiriez père et fils & Cartier Bresson, puisDolfus Mieg & Cie, actuellementAcia
Usine de produits chimiques
Ancien moulin à huile, puis filature de coton, dite filature de Rouval
Hauts-de-France ; Somme (80) ; Doullens ; rue de Rouval
Communauté de communes du Territoire Nord Picardie
Doullens
Rouval (rue de)
1983 AH 4 à 17, 38, 160, 163, 184 à 205, 222
En ville
Authie (l')
Atelier de fabrication ; salle des machines ; conciergerie ; bureau ; réservoir industriel ; aire des matières premières ; magasin industriel ; entrepôt industriel ; logement d'ouvriers ; logement patronal ; transformateur
2e quart 19e siècle ; 3e quart 19e siècle ; 4e quart 19e siècle ; 2e quart 20e siècle
4e quart 20e siècle
1832
Porte la date ; daté par source ; daté par travaux historiques ; porte la date
Attribution par source ; attribution par source ; attribution par source ; attribution par source
Mourgue Jean Scipion (propriétaire) ; Boëking dit Sydenham Louis (propriétaire) ; Boëking dit Sydenham Victor (propriétaire) ; Boëking dit Sydenham Georges (propriétaire)
Construite en plusieurs étapes au cours du XIXe siècle, la filature de Rouval, installée au bord de l'Authie, constitue l'une des plus anciennes et des plus importantes filatures hydrauliques de coton du département de la Somme. La vocation industrielle du site de Rouval, au nord-ouest de la ville de Doullens, est attestée depuis le début du XVIe siècle. En 1522, l'endroit qui n'était qu'un "marais peuplé de trois maisons" comporte plusieurs moulins hydrauliques alimentés par la rivière l'Authie (DELGOVE, p. 400) Ils sont reconstruits en 1535 par un certain Nicolas Boquet, marchand tavernier de Péronne qui construit un moulin à huile et un moulin à fouler les étoffes. L'autorisation précise que "le bâtiment qui sera construit au Pont de Rouval aura quarante pieds de long sur vingt-deux de large" (DELGOVE, p. 400). Les dispositions demeurent dans cet état au cours du XVIIIe siècle (AD Somme ; 1 Fi 840) et jusqu'au début du XIXe siècle. Seul le moulin à fouler les étoffes semble avoir été abandonné dans son usage au profit d'un moulin à blé. La filature de coton de Scipion Mourgue (1808-1830)Après avoir entamé un début de carrière diplomatique et s'être illustré dans les campagnes d'Italie sous le Premier Empire, Scipion Mourgue, fils de Jacques Mourgues qui fut le dernier ministre de l'intérieur de Louis XVI en 1792, se lance dans l'industrie textile. Il s'associe avec Marc Jacob Fillettaz, un riche négociant de Genève, et Jean-Charles Davillier, qui, à l'époque, est déjà très investi dans l'industrie textile. Il possède en effet déjà cinq filatures et tissages de coton qui lui permettent de développer le commerce des toiles d'indiennes. La première société créé par Scipion Mourgue en 1807 est un échec et se solde par le retrait de deux actionnaires. Mais en 1808, la société Scipion Mourgue & Cie voit le jour avec un capital de 500.000 francs (AD Hérault ; 167 J 9), et propulse son instigateur parmi les grands industriels français du textile. L'usine est construite en 1810 et apparaît sur les plans de cadastre de la ville réalisés en 1811 (AD Somme ; 3 P 1194, section K2). Il s'agit alors d'un long bâtiment assis sur un bras secondaire de la rivière de l'Authie, qui vient compléter l'ancien moulin à huile qui est conservé. D'autres bâtiments sont identifiés en tant que magasins, bureaux, et plus au nord les logements pour les employés qui font face à la maison du directeur. Sur la route nationale, plusieurs logements sont destinés aux ouvriers de l'usine. Toutes ces dispositions se retrouvent sur le Plan des bâtiments composant la filature de Rouval-lès-Doullens et des terrains qui en dépendent, réalisé en 1831 (AD Hérault ; 167 J 10) et rappellent l'état du site avant l'incendie qui le ravagea en 1823. Le 24 février 1823, un morceau de mèche de lampe à huile serait tombé sur un stock de coton cardé et aurait enflammé toute la filature, détruisant l'ensemble du bâtiment en quelques heures. Face à cette catastrophe, Mourgue et ses associés décident immédiatement de reconstruire l'établissement en lui donnant davantage d'ampleur et en le modernisant. Le temps de la reconstruction, la raison sociale de l'entreprise devient "Davillier, Ogier et Hottinguer" : un changement qui souligne la part importante de Davillier dans l'investissement financier de ce chantier. Mourgue est quant à lui à la manœuvre pour la modernisation de l'outil industriel, n'hésitant pas à aller en Angleterre pour espionner le fonctionnement des machines textiles les plus performantes. La nouvelle filature qui est de nouveau en activité le 17 juillet 1823, soit moins de cinq mois après l'incendie, devient, selon la biographie de Mourgue "une filature modèle que l'on vient visiter de la France entière" (AD Hérault ; 167 J 10). Cette fierté transpire du portrait de l'industriel conservé à Londres (Londres, British Museum). Pourtant, l'entreprise connait d'importantes difficultés économiques liées sans doute à son éloignement des marchés et à la crise que connaît l'industrie du coton depuis 1826. Cette situation ne permet pas à l'entreprise de rembourser ses créanciers et Mourgue est contraint de cesser l'activité de la filature en 1830. Le développement de la filature sous Boëking dit Sydenham (1832-1925)L'établissement est racheté le 21 février 1832 pour la somme de 311.000 francs par Pierre Charles Louis Boëking dit Sydenham, ancien commis de la manufacture d'indiennes d'Oberkampf, associé à Ernest Feray, déjà à la tête de la filature de Chantelerme à Essonne. Les deux industriels semblent entamer de nouvelles améliorations, ce que suggère la date de 1832 sculptée en bas-relief dans le sous-sol actuel de la filature. Celle-ci se voit également transformée par l'ajout d'une machine à vapeur en 1837 qui complète la force hydraulique. Le décès de Boëking dit Sydenham en 1846 laisse sa veuve Marguerite Aubry poursuivre la gestion et la transformation de l'entreprise, avant que ses deux fils Victor et Georges, ne soient en mesure de prendre la suite de la direction à partir des années 1860. Membres de la Société industrielle d'Amiens dès l'origine, en 1862, ils accueillent l'ensemble des membres en 1865 pour une visite très détaillée qui fait l'objet d'un compte-rendu (cf. Annexe n°3). Avec une longueur de 65 m et 16 m de haut, la filature, éclairée de 220 fenêtres reste l'édifice principal (PONCHE, cf. Annexe 3). Mais il est complété à l'époque de nouveaux ateliers de retordage et de dévidage, dans lesquels se trouve également les étapes de paquetage et de mise en caisse avant expédition (PONCHE, cf. Annexe 3).L'absence d'archives sur cette période est compensée par la présence d'initiales en fers d'ancrage sur chacun des bâtiments reconstruits. Le grand bâtiment central précédé de la salle des machines est ainsi marqué des initiales SA, pour Sydenham-Aubry, et correspondrait à une période comprise entre 1840 et 1860.Les deux corps de bâtiments en shed, situés au sud vers la rivière, portent les initiales VS pour Victor Sydenham et correspondent donc aux années comprises entre 1865 et 1897, date de sa mort. Enfin, la chaufferie et la salle des machines qui portent les initiales GS seraient postérieures à 1897, date à laquelle Georges Sydenham, le frère cadet, aurait dirigé seul l'entreprise après la mort de sont frère. En 1910, la société dont le capital est porté à 1.170.000 francs, prend le nom de Georges Sydenham & Cie.La filature Thiriez Cartier-BressonLa filature de Rouval est rachetée en 1917 (GUERVILLE, p. 284) par l'entreprise Thiriez, implantée à Esquermes (Nord), et qui, avant même la fin de la Première Guerre mondiale, entame alors une vaste politique de rachat d'entreprises textiles dans le nord de la France. Pour autant, peu de documents nous renseignent sur cette période, où pourtant d'importants travaux sont manifestement engagés à la filature de Rouval. Une vue cavalière de l'usine datée de 1927 (AD Somme ; 1 Fi 1941) ainsi qu'une lecture archéologique des bâtiments du site confirment une reconstruction complète dans les années 1920-1925 du bâtiment de production principal et de la conciergerie. Toutefois l'absence de dossier de dommages de guerre ne permet pas d'associer ces travaux à d'éventuelles destructions, ni d'en mesurer l'ampleur avec précision. En 1925, la société Thiriez fusionne avec l’entreprise Cartier-Bresson, qui elle même fusionne en 1961 avec Dollfus-Mieg et Cie (DMC), qui garde le nom mais s'approprie le logo à tête de cheval, issu de Thiriez. La fin de l'activité textile et la nouvelle vie industrielle du site : Miplacol et AciaDans les années 1970, l'industrie textile est touchée de plein fouet par la crise économique. L'entreprise Thiriez Cartier-Bresson est affectée comme de nombreuses autres et cesse son activité en 1970. Les bâtiments sont rachetés en 1972 par l'entreprise Miplacol, spécialisée dans la production de colles et d'anticongélants, avant de s'orienter en 1984 dans les "Activités Chimiques pour L'Industrie Automobile" et devient donc Acia. Cette entreprise, qui manipule et stocke un certain nombre de produits chimiques pour la fabrication de liquides de refroidissement, liquides de freins et autres fluides automobiles, décide de faire construire de nouveaux ateliers de production. Les bâtiments de brique de l'ancienne filature ne servent plus que de laboratoire Recherche & Développement et de stockage de produits finis et semi-finis, avant d'être démolis en 2023 dans le cadre du projet de développement de l'entreprise Acia. Équipement industriel, production et force motriceEn 1811, la filature produit 500 à 600 kilos de fil par jour. En 1831, la filature est équipée d'un moteur hydraulique développant une force motrice de 50 chevaux qui fait fonctionner, entre autres, un aiguiseur pour chapeau de carde, une machine à tourner les cardes, douze bancs à broches en gros, trente-trois bancs à broches en fin, quarante neuf cardes doubles, trois batteurs-étaleurs, quinze étirages à quatre têtes, un rota-frotteur, ainsi que quatre-vingt-onze métiers à filer mule-jenny, ayant ensemble 19 092 broches.En 1837, la force motrice hydraulique est complétée d'une machine à vapeur (AD Somme ; 99 M 80058). En 1855, la filature de Rouval est la plus importante filature du département de la Somme avec 28 000 broches. En 1865, la grande roue hydraulique de 40 chevaux est complétée d'une machine à vapeur Powell (constructeur à Rouen), d'une puissance de 60 chevaux, et d'une autre plus petite de 10 chevaux (PONCHE. Cf. Annexe 3). Parmi l'équipement industriel installé entre 1959 et 1864, il est mentionné un éplucheur Oldham-Welow, un batteur-étaleur Schlumberger, une débourreuse du système américain Wellmann, "dont l'ingéniosité rend de grands services à la filature et permet une économie de trois à quatre francs de main d’œuvre". Une autre machine à vapeur Farcot, de la force de 40 chevaux, permet le fonctionnement de 3960 broches, système Platt, installées en 1864.En 1870, l'usine fonctionne avec une force de 20 chevaux thermiques et 90 chevaux hydrauliques. En 1898, l'équipement industriel de l'usine comprend 84 000 broches à filer de la marque Platt et 5 000 broches à retordre.Approche sociale et effectifs de l'entreprise En 1810, la filature qui dispose d'un règlement intérieur très strict (cf. Annexe N°1), est complétée de logements destinés au personnel de l'entreprise, qui distinguent ceux dédiés aux employés et ceux affectés aux ouvriers. En 1823, au moment de l'incendie de la filature, l'usine Mourgue compte environ 300 employés, dont "une cinquantaine de jeunes filles issues de l'hospice des enfants trouvés de Dunkerque" (Mém. Acad. Arras, 1845, p. 255) et de nombreux prisonniers espagnols. Avant le milieu du XIXe siècle, Marguerite Aubry, veuve de Pierre Boëking dit Sydenham, aurait fait reconstruire les maisons de contremaîtres, ainsi qu'un certain nombre de maisons ouvrières et une auberge destinée aux ouvriers les plus éloignés (WISCART, Revue du Nord, 2012/2 , n°395). En 1864, l'atelier de retordage emploie une trentaine d'ouvrières, dont la moitié de "jeunes filles de 12 à 14 ans qui font ici leur apprentissage sur les continus, avant de travailler ensuite sur les renvideurs".En 1870, l'usine emploie 218 ouvriers, dont 38 enfants. En 1939, l'effectif de l'entreprise est de 282 ouvriers, mais décroît après guerre pour rassembler moins de 200 ouvriers en 1962. En 1986, l'entreprise Acia emploie 50 personnes, dont 27 intérimaires.
Brique
Ardoise ; tuile mécanique ; béton en couverture
3 étages carrés ; étage de comble
Élévation à travées ; élévation ordonnancée ; élévation ordonnancée sans travées
Toit à longs pans croupe ; shed pignon découvert ; toit à longs pans brisés pignon couvert ; toit bombé ; terrasse
Énergie hydraulique ; énergie thermique ; énergie électrique
Le site industriel actuel, qui s'étend le long de la rive droite de l'Authie, est partagé en deux : une partie ancienne correspondant à l'ancienne filature de coton composée de bâtiments en brique, et une partie plus récente, en charpente métallique et bardage de tôles nervurées (non étudié). Le site industriel est desservi par un embranchement ferroviaire. L'atelier principal est à deux étages carrés en brique avec charpente métallique apparente. Il est couvert de toits à longs pans et croupes en tuile mécanique. Il est précédé de l'ancienne salle des machines et chaufferie. La cheminée tronconique qui était associée à cet élément a été démolie.Le second atelier de fabrication, qui lui fait face, forme un vaste volume quadrangulaire construit en brique avec charpente apparente en béton armé. Il comprend trois étages desservis par un escalier en béton armé destiné au personnel et doublé par un monte-charge pour les matières premières ou les produits transformés. Il est couvert d'un toit-terrasse. Au sud de ces deux grands ateliers de fabrication, se développent deux ateliers parallèles en shed avec pignons découverts. Située au nord, la conciergerie est en rez-de-chaussée et étage de comble, avec toit à longs pans brisés et croupe en ardoise. Le logement patronal présente une élévation ordonnancée, un étage carré et étage de comble.L'ensemble a été entièrement détruit après inventaire.
Ferronnerie ; sculpture
Ornement a chiffre, monogramme
Fers d'ancrages portant les initiales V.A. sur le grand bâtiment central précédé de la salle des machines.Fer d'ancrages portant les initiales V.S. sur l'élévation nord-est de l'atelier de fabrication sud ainsi que sur les façades de l'atelier de fabrication principal.Fer d'ancrages portant les initiales G.S. sur la chaufferie le transformateur électrique et la salle des machines.Caducée d'Hermès ou Kerykeion sculpté en bas-relief au-dessus de la porte d'entrée du logement patronal : entre deux cornes d'abondance, le caducée est formé d'une tige d'olivier autour de laquelle s'enroulent deux serpents dont les têtes se font face juste au-dessous d'une paire d'ailes.
Détruit après inventaire
À signaler
Le service de l'Inventaire du patrimoine culturel de la Région Hauts-de-France a réalisé une actualisation du dossier initial de repérage établi en 1988 sur la filature de Rouval, dans le cadre d'une mission d'urgence, au moment où l'édifice était menacé de destruction. Cette mission d'urgence qui consiste à intervenir ponctuellement avant la transformation ou la démolition programmée d'un élément du patrimoine, a en outre permis d'exploiter de nouvelles sources historiques qui ont enrichi la connaissance de cet ensemble industriel. La filature de coton de Rouval, qui s'est développée sur l'emplacement de moulins hydrauliques alimentés par la rivière de l'Authie depuis au moins le XVIe siècle, n'a pas seulement été la première filature de coton du département de la Somme au XIXe siècle. Elle en a aussi été l'une des plus vastes et des plus remarquablement conservées, avant sa démolition en 2023.
Propriété privée
1987
(c) Région Hauts-de-France - Inventaire général
1988 ; 2024
Fournier Bertrand ; Dufournier Benoît
Dossier individuel
Conseil régional Hauts-de-France - Service de l'Inventaire du patrimoine culturel 21 mail Albert-Ier 80000 Amiens