Filature ; tissage ; usine d'impression sur étoffes ; moulin à foulon
L’industrie textile du bassin hydrographique de l'Andelle
Bassin hydrographique de l'Andelle ; Eure ; Seine-Maritime
17e siècle ; 18e siècle ; 19e siècle ; 20e siècle
Attribution par source ; attribution par source
Levavasseur Charles (personnage célèbre ; propriétaire) ; Peynaud Adolphe (personnage célèbre ; propriétaire) ; Pouyer-Quertier Augustin-Thomas (personnage célèbre ; propriétaire)
L’industrie textile, liée au travail de la laine et du coton, est l’activité la plus présente dans le bassin de l’Andelle. Elle se concentre sur la portion aval de la vallée, entre Vascoeuil et Romilly-sur-Andelle, là où la force de la rivière augmentée par celle de ses affluents est la plus puissante. Elle se développe grâce à ce fabuleux potentiel hydraulique et au rayonnement de grandes villes drapières ou cotonnières voisines, telles qu’Elbeuf, Louviers, Les Andelys et Rouen.L’activité lainière apparait dès le XVIIe siècle avec le développement des moulins à foulon, utilisés pour le dégraissage des draps. Ces établissements travaillent pour les fabricants d’Elbeuf et de Louviers, qui sont alors les principaux centres de fabrication de draps fins en France. En 1750, pas moins de 11 moulins à foulon sont en activité sur les seules communes de Romilly-sur-Andelle et Pont-Saint-Pierre ! Leur nombre est le même en 1860, mais ils se sont mécanisés et totalisent 64 machines à fouler et 45 machines à dégraisser. La mécanisation du foulage et le développement de l'énergie thermique favoriseront la réintroduction de cette opération au sein des établissements lainiers comme on l'observe à Elbeuf et Louviers. Les derniers foulons ont fonctionné jusque dans les années 1880, laissant place à de nouvelles industries. De rares témoins subsistent tel que le moulin du Barbeau à Pont-Saint-Pierre. L’activité cotonnière démarre dans le bassin de l’Andelle, à la fin des années 1770, avec la fabrication d’indiennes, ces toiles de coton sur lesquelles étaient imprimés des motifs colorés. D’importants établissements, spécialisés dans la production de mouchoirs imprimés et de tissus d’ameublement s’implantent sur le cours de l’Andelle et de la Lieure, utilisant la rivière pour ses propriétés physiques, notamment pour les opérations de trempage, de lavage et de teinture. Le premier est fondé en 1778 à Charleval sur la Lieure par Martin Liesse un indienneur rouennais et emploie près de 300 ouvriers. En 1825, il existe entre Charleval et Romilly-sur-Andelle huit manufactures d’indiennes (qui consomment annuellement 24 000 pièces de calicot) et une à Lyons-la Forêt, installée depuis 1793 dans le couvent des Cordeliers par Louis Goutan, qui comme Martin Liesse fut employé par le fabriquant rouennais Noel Fleury avant de s'installer à son compte sur les bords de la Lieure. L'impression s'effectue alors de façon manuelle, suivant la technique dite sur table, à l'aide de planches en bois de buis sur lesquelles sont gravés les motifs désirés, le plus souvent des scènes mythologiques, historiques ou de la vie quotidienne. Les planches gravées sont ensuite enduites de couleur puis appliquées sur une table d'impression préalablement recouverte de mordant. Lorsque le motif nécessite plusieurs couleurs, l'impression utilise plusieurs planches, une par couleur. Les toiles imprimées sont ensuite lavées, puis séché sur pré à l'air libre et enfin lustrées au moyen de calandres, des machines à cylindres entrainées par la force hydraulique, avant d'être commercialisée à la halle de Rouen. Le personnel employé dans ces fabriques d'indiennes est constitué par une main d’œuvre masculine très qualifiée et au salaire élevé : des dessinateurs, graveurs, imprimeurs... L’industrie des indiennes se restructure brutalement à partir des années 1840 suite à l'introduction de la perrotine en 1836, elle-même supplantée par l'imprimeuse à cylindres dans la seconde moitié du XIXe siècle, qui mécanise l'impression. L'activité se concentre au sein d'établissements moins nombreux mais plus mécanisés utilisant une main d'oeuvre réduite et déqualifiée. Ainsi en 1860, on ne compte plus que 4 indienneries en fonctionnement dans le bassin de l'Andelle : celles fondées par Victor Sautelet, par Martin Liesse et par Victor Crepet à Fleury-sur-Andelle et Charleval et celle créée à Radepont par les frères Anty et reprise en 1840 par la société Daliphard-Dessaint et Cie qui est la dernière à rester en activité dans le bassin de l'Andelle. Au moment de sa fermeture, à la fin des années 1870, elle employait encore 500 ouvriers. A la fin du XVIIIe siècle et au début XIXe siècle, la mécanisation du filage entraine la construction des premières filatures de coton et dans une moindre mesure de filatures de laine dans le bassin de l’Andelle où elles trouvent l’énergie hydraulique nécessaire pour faire mouvoir leurs machines. La première filature de coton (aujourd'hui disparue) est établie en 1793 à Fontaine-Guérard et la première filature de laine est créée en 1814 à Pont-Saint-Pierre. Ces usines sont pour la plupart construites sur des sites préexistants, occupés par d’anciens moulins (à blé ou à foulon) dont elles reprennent les chutes et dont elles effacent toute trace. Le phénomène s’amplifie à partir de 1820, lorsque la saturation des rivières autour de Rouen impose le déplacement l’activité cotonnière vers l’Andelle. Il se produit alors une véritable ruée vers l’eau et l’industrie du coton, la filature en tête, devient l’activité dominante du territoire. Outre le filage proprement-dit, on effectue également dans ces établissements des opérations préparatoires telles que l’épluchage, le cardage et l’étirage mais aussi le dévidage qui consistent à conditionner le fil en bobines avant de l'envoyer au tissage. En 1840, 26 filatures de coton sont en activité entre Perruel et Pont-Saint-Pierre. Leur nombre est le même en 1860 mais leur production a doublé du fait de la diffusion des mull-jennys (en remplacement des continus à filer) et de l'augmentation du nombre de broches par établissement (soit 248 900 broches pour l'ensemble des filatures de coton du bassin de l'Andelle en 1861). Le fil de coton produit dans le bassin de l'Andelle est un fil commun, épais (allant du n° 20 à 50 pour la trame), écru (sans teinture) destiné à la consommation locale c'est à dire à la fabrication de calicots et cretonnes. Cette industrie, très consommatrice de bras, a recours essentiellement, par économie, à une main d’œuvre féminine et enfantine (même après les lois du 22 mars 1841 et du 19 mai 1874 qui réglementent le travail des enfants), qui est rémunérée deux à quatre fois moins que les hommes. En 1847, les filatures du bassin de l'Andelle emploient 2 161 personnes, dont 687 hommes, 979 femmes et 495 enfants. Une étude menée en 1875 auprès des industriels du territoire montre que 350 enfants de moins de 16 ans travaillent encore en filature, dont 92 de moins de 12 ans. Pour tous ces ouvriers, enfants ou adultes, les conditions de travail en filature sont particulièrement difficiles. Le temps de travail et la pénibilité des horaires, qui sont les mêmes pour tous quelque soit l'age, en sont la première raison : 15 h passées à l’usine, de 7 h à 22 h en hiver, de 5 h à 20 h en été, avec 2 h seulement consacrées aux pauses repas. Ni congés, ni jours fériés et des dimanches qui ne sont pas forcément chômé. A la la pénibilité de ces très longues journées de travail s'ajoute celle de tâches répétitives menées à un rythme effréné dans des positions inconfortables et dans un environnement usinier souvent dangereux et malsain. Les registres d'état-civil montrent que les ouvriers qui travaillent dans les filatures de la vallée de l'Andelle sont recrutés dans un rayon de 10 km autour de l'usine. L’éloignement domicile-travail constitue alors une pénibilité supplémentaire car à la fatigue de la journée de travail s’ajoute celle des longs trajets (à pieds) pour gagner l'usine le matin et revenir au logis le soir. En comparaison du coton, le filage de la laine reste anecdotique dans le bassin de l’Andelle, où seulement 4 filatures de laine sont recensées au cours du XIXe siècle. La mécanisation du filage de la laine, amorcée dans les années 1810, entraine le démarrage de l’activité sur le territoire, avec la construction des usines Mignot, en 1814-1815, à Pont-Saint-Pierre, associées à des moulins à foulons. Ces deux établissements, spécialisés dans la laine cardée, sont étroitement liés aux fabriques de Louviers et d’Elbeuf auxquelles est destinée leur production. L’une d’elle est d’ailleurs bâtie sur le modèle architectural de la filature Ternaux de Louviers. Les progrès de la mécanisation dans les années 1840, suite à l'adaptation de la mull-jenny au travail de la laine, n’a pas d’effet majeur sur l’orientation industrielle du territoire, toujours dominé par le coton, malgré la création de deux nouveaux sites de production sur les communes de Romilly-sur-Andelle, où se concentrent également les moulins à foulons. Ces quatre filatures sont des usines modestes qui totalisent un équipement de 6 800 broches et emploient 180 ouvriers, des chiffres dérisoires comparés aux filatures de coton. Aucune de ces usines n'a franchi le tournant du XXe siècle.Les tissages de coton sont également présents sur le territoire, mais bien moins nombreux que les filatures, en raison du retard de mécanisation de l'activité qui contrairement à celle précoce du filage, n'interviendra véritablement que dans la seconde moitié du XIXe siècle. Jusqu'à cette date, le tissage est réalisé de façon artisanale et dispersée par une main d’œuvre rurale travaillant à domicile. Les premiers ateliers mécanisés sont le plus souvent greffés à une filature existante. Rares sont ceux qui, comme celui de Transières des frères Hilzinger à Charleval, fonctionnent exclusivement comme tissage. En 1840, la vallée de l'Andelle compte 3 tissages mécaniques établis à Fleury-sur-Andelle et à Charleval qui totalisent 800 métiers et produisent annuellement 8 millions de mètres de calicot. Vingt ans plus tard, en 1860, ils sont au nombre de 6, implantés à Fleury, Charleval, Romilly, comptent 1 400 métiers et produisent annuellement 14 millions de mètres de calicot.A partir des années 1860-70, sous l’impulsion de puissants patrons tels que Auguste Pouyer-Quertier, Adolphe Peynaud, Charles Levavasseur... un phénomène de concentration s’opère dans l'industrie cotonnière. Les établissements sont moins nombreux mais plus grands, entièrement mécanisés et associent systématiquement filature et tissage. Malgré quelques ruptures, l’industrie cotonnière progresse jusqu’à la Grande Guerre, puis entame une longue période de décroissance. La dernière filature de la vallée, l’usine du Pont des Jardins à Charleval, reconvertie au travail du lin, a fermé en 2003. Enfin, l'activité linière, dédiée exclusivement la préparation des fibres, est également présente dans le bassin de l'Andelle, notamment sur les rivières de la Lieure et du Fouillebroc. Mais, contrairement au travail de la laine et du coton, elle s'y développe de façon tardive, à partir des années 1930, suite à la mise en place d’un système de primes gouvernementales qui va relancer sur le territoire tout à la fois la culture et l’industrie linière (rouissage et teillage) alors que l'une et l'autre avaient quasiment disparu au début du siècle face à l'importation massive de lins russes. Les nouvelles usines de rouissage et de teillage qui s'implantent dans le bassin de l'Andelle, et dénommée localement "lineries", réutilisent généralement des sites hydrauliques délaissés. C'est le cas de la linerie fondée en 1940 par Georges Opsomer à Ménesqueville qui s'installe sur le site d'une ancienne scierie qui était à l'origine une filature de coton. Le développement de l'activité La rivière offre à ces établissements, non pas l'énergie permettant d'entrainer des moteurs hydrauliques, mais les grandes quantités d'eau nécessaires aux opérations de rouissage et de teillage. Ne subsiste aujourd'hui que les ateliers de la coopérative linière de Lisors comme témoignage bâti de cette activité passée.
Les usines textiles du bassin de l’Andelle relèvent de deux typologies architecturales distinctes, l’une fonctionnaliste, l’autre rationaliste. La première réunit toutes les usines se présentant sous la forme de bâtiments à étages, à ossature poteaux-poutres (en bois ou en fonte) et dotées de façades largement vitrées. Cette morphologie fonctionnaliste est conditionnée par la nécessité d’optimiser l’éclairage naturel des ateliers (la lumière étant un élément essentiel dans l’activité textile) mais aussi par le système de transmission de l’énergie à l’intérieur de l’usine. La seconde réunit les bâtiments couverts en shed qui sont des espaces unifiés à trame constructive régulière sur plan libre, généralement construits en rez-de-chaussée. Le principe de la toiture en shed repose sur des pentes de degrés inégaux, l’une aveugle, l’autre vitrée et généralement orientée au nord. Ce système d’éclairage zénithal, inventé dans les années 1820 par l’ingénieur britannique William Fairburn, permet d’apporter de la lumière au centre d’un atelier quel que soit sa surface au sol. Les premières usines en shed apparaissent en France dans les années 1850 et se généralisent dans les années 1870, lorsque le prix du verre diminue avec l'augmentation de sa production industrielle. Malgré les principes d’utilitarisme et d’économie prônés par les théoriciens de l’architecture au XIXe siècle, certaines usines n’échappent pas à l'ostentation. C’est le cas de la filature-cathédrale de Pont-Saint-Pierre bâtie par le grand patron et homme politique Charles Levavasseur. Ici, le souci esthétique qui se manifeste dans le traitement des façades, sans modifier l’organisation fonctionnelle de l’espace intérieur, rend compte de la double fonction que peut revêtir l’usine. A la celle de production, s'ajoute alors une fonction symbolique de représentation du pouvoir politique ou économique. L’usine n’est plus seulement un outil de production, elle est le symbole de l’industrie triomphante et prospère, l’emblème de la puissance de son propriétaire.
2016
(c) Région Normandie - Inventaire général
2019
Real Emmanuelle
Dossier collectif
Région Normandie – Service Inventaire du patrimoine