Présentation de l'aire d'étude du patrimoine industriel de la vallée de la Basse-Seine
Vallée de la Basse-Seine
La Basse-Seine, premier complexe industrialo-portuaire françaisUn territoire stratégique :La vallée de la Basse-Seine correspond à la portion estuarienne du fleuve comprise entre son embouchure avec la Manche, au Havre, et le barrage de Poses où s’arrête l’effet de la marée. Entre ces deux points, la Seine décrit de larges méandres qui lui confèrent un tracé sinueux et doublent la distance de Poses à la mer (160 km). Son relief se caractérise par la dissymétrie de ses versants. La rive convexe des méandres consiste en une vaste plaine alluviale marécageuse. La rive concave est dominée par de hautes falaises calcaires qui surplombent le fleuve sans jamais le border directement. A son embouchure, de Tancarville au Havre, le lit du fleuve s’évase en de vastes zones humides d’une grande richesse biologique (marais, vasières, tourbières, roselières…) désormais constituées en réserves naturelles.Grâce à sa position stratégique entre la Manche et Paris et aux grands travaux sur son chenal engagés dès 1846 pour permettre aux grands navires de mer de remonter jusqu’à Rouen, la vallée Basse-Seine s’impose dès la seconde moitié du XIXe siècle comme un axe majeur pour le transport maritime et par conséquent pour le développement industriel. Des usines monstres issues de l’industrie lourde et de nouveaux secteurs d’activité s’implantent le long du fleuve, essentiellement sur sa portion maritime entre le Havre et Rouen. Si le fleuve constitue pour ces établissements un axe de communication privilégié, ouvrant sur le monde et sur le formidable débouché parisien, ce n'est pas pour autant le seul facteur d'implantation. Ses ressources en eau, son riche arrière-pays, ses terrains disponibles à vil prix... et surtout la présence de deux grands ports maritimes, Rouen et Le Havre, qui sont aussi d’importants bassins de main-d’œuvre, contribuent fortement à cette industrialisation de grande ampleur. Pour autant, la vallée de la Basse-Seine n’est pas devenu un long boulevard industriel. Elle reste ce territoire exceptionnel dont les magnifiques paysages, immortalisés par les impressionnistes, servent d’écrins à des industries lourdes, remarquables par leur gigantisme et leurs formes complexes.L’introduction qui suit présente les étapes et les facteurs de cette épopée industrielle sur un peu plus d’un siècle, des années 1860 au tournant du XXIe siècle. Nombre de sites industriels qui en témoignent ou en témoignaient ont fait l’objet d’une étude d’inventaire spécifique accessible via les notices jointes.L’avènement de la grande industrie (1860-1913)Les premières distilleries de pétroleL’industrie pétrolière est le premier secteur d’activité moderne à se fixer sur la vallée de la Basse-Seine. Elle y fait son apparition au début des années 1860, lorsque Rouen et Le Havre s’affirment comme grands ports d’importation d’hydrocarbure. Le Havre reçoit ses premiers fûts de brut américain en 1861. Contrairement aux produits raffinés, le brut est alors exempt de droits de douane et très peu taxé. Ces conditions tarifaires favorisent la création de petites raffineries destinées à la production de pétrole lampant (huile d’éclairage) et de graisse industrielle. La première, la Lucilline, est installée à Rouen sur la rive droite du fleuve en 1863 par la société Cohen et Cie.Malgré les taxations opérées sur le pétrole brut en 1863 puis en 1870 (entraînant le quadruplement de son prix) et l’abaissement des droits de douane sur les produits raffinés en 1881, l’activité pétrolière poursuit son essor : des dizaines d'usines de distillation s’implantent autour de Rouen et du Havre. En 1891, pour sécuriser le trafic pétrolier dans le port de Rouen, un bassin aux pétroles réservé au déchargement des navires-citernes est créé sur la rive gauche de la Seine, à l’écart du port de commerce. C'est autour de ce bassin que va se concentrer l'industrie pétrolière : la Bedford Pétroleum Co s'y installe en 1893, la société Lille Bonnières et Colombes en 1894, la société Industrielle Française de Pétroles en 1900, la société André et fils en 1904… Comme Rouen, Le Havre se dote en 1895 d’un bassin au pétrole. Favorisé par sa situation en façade maritime, le port du Havre semble d’ores et déjà appelé à devenir un grand centre d’importation du pétrole. Dès la fin du XIXe siècle, le poids du trafic pétrolier y dépasse celui des autres marchandises. Cette activité entraîne la multiplication des sociétés d’entreposage et, dans une moindre mesure qu’à Rouen, d’établissements de distillation. La première raffinerie du Havre est fondée en 1878 par la société Desmarais frères.Mais l’essor de l’activité est stoppé net par la loi du 31 mars 1903 qui impose une lourde taxe de fabrication sur le pétrole brut entrant en raffinerie. Il devient alors plus intéressant d’importer des produits déjà raffinés que de transformer le brut sur place. Cependant toutes les usines de distillation ne disparaissent pas pour autant et en 1913, Rouen en compte encore près d’une dizaine.L'avènement de l’électricité et des premières centrales thermiquesL'avènement de l'électricité à la fin du XIXe siècle entraine la mise en place des premiers réseaux urbains de distribution publique d’électricité, à Rouen en 1887 et au Havre en 1889. Les centrales thermiques construites pour les alimenter sont des usines de faible puissance produisant du courant continu dont la distribution sur de longues distances est mal maîtrisée. Elles sont donc implantées au cœur des villes qui sont aussi les centres de consommation.Le développement de la demande en énergie électrique pour l'activité industrielle et portuaire entraine la construction de centrales thermique de nouvelle génération, produisant du courant alternatif.Au Havre, la centrale électrique, bâtie rue Charles Laffite, au cœur du quartier industriel bordant le port, est mise en service en 1889. Elle bénéficie à cet endroit de la proximité du bassin Vauban qui assure son approvisionnement en eau et en charbon. En 1894, sa puissance est augmentée dans le but d’alimenter tramway et industrie. La société Schneider est l’une des premières à passer contrat pour l’électrification de son usine d’artillerie. A la veille de la Première Guerre mondiale, la puissance de la centrale du Havre est de 10 000 kW, soit 40 fois supérieure à celle de ses débuts.A Rouen, une centrale électrique est bâtie en 1901 sur le boulevard de Croisset, non loin de la Seine. Avec une puissance de 6 500 kW, elle alimente en courant alternatif un rayon de 10 km autour de Rouen. La proximité du fleuve permet son approvisionnement en charbon importé d’Angleterre essentiellement. Mais face à la demande croissante que la centrale de Croisset ne peut satisfaire, une puissante centrale de 23 000 kW est installée en 1913, à Grand-Quevilly, sur la rive gauche industrielle. Son implantation, en bord de Seine, répond non seulement à des contraintes d’approvisionnement en combustible, mais surtout de fonctionnement : le fleuve fournit les énormes quantités d’eau nécessaires à ses chaudières et circuits de refroidissement.Toutefois, malgré les avantages de cette nouvelle énergie, l’industrie demeure jusqu’à la Grande Guerre une clientèle marginale qui préfère, pour des raisons d’investissements, rester fidèle à la vapeur.La production du matériel de guerreProfitant de la loi du 26 août 1885 qui libéralise la fabrication et le commerce des armes et munitions, la société métallurgique Schneider, implantée au Creusot, décide de développer sa production d’armement en redéployant son empire industriel sur la Basse-Seine. En 1897, elle rachète aux Forges et Chantiers de la Méditerranée son usine d’artillerie navale du Havre et son champ de tir du Hoc.Le choix de cette implantation au Havre tient autant la présence du port qu’à celle de la vaste plaine alluviale qui s’étend le long de l’estuaire, lieu idéal pour tester les canons et lance-torpilles sortant de ses ateliers. Pour satisfaire aux impératifs de développement, un champ de tir à longue portée et une nouvelle usine sont créés en 1899 et en 1905 entre le canal de Tancarville et le fleuve. Cette dernière, qui comptera jusqu’à 11 800 employés, est dotée dès 1906 d’une importante cité ouvrière, la cité Mayville.La production d’engrais chimiques (superphosphate)Au début du XXe siècle, l’essor de l’agriculture intensive en France entraine le développement fulgurant de l’industrie des engrais chimiques dans la vallée de la Basse-Seine. Entre 1907 et 1911, près d’une dizaine usines de superphosphate sont installées en aval de Rouen, sur la rive gauche du fleuve.Plusieurs facteurs prédestinaient la Basse-Seine à devenir le premier centre de production d’engrais chimiques en France. La fabrication d’acide sulfurique ancrée de longue date à Rouen pour les besoins de l’industrie textile est l’un d’eux. Cet acide constitue avec le phosphate naturel le produit de base du superphosphate. Mais la Basse-Seine offre à ces industries d’autres avantages. Le port de Rouen leur permet de recevoir par voie maritime les grandes quantités de phosphate naturel qu’elles requièrent. Les chiffres à l’importation augmentent de façon fulgurante, passant de 410 à 130 000 t/an entre 1901 et 1912. Enfin, au niveau des débouchés, le Bassin parisien qui constitue l’hinterland agricole du port de Rouen assure l’écoulement d’une grande partie des engrais phosphatés produits sur place.Les répercussions de la première guerre industrielle (1914-1918)La Première Guerre mondiale va jouer un rôle prépondérant dans le développement industriel de la Basse-Seine. Entre les zones de combat à l’Est et l’occupation des départements du Nord, la France se trouve privée d’une grande partie de son industrie. La vallée de la Basse-Seine, à l’abri du conflit bien que proche du front, s’impose alors comme grand secteur de production. L’ensemble de l’appareil industriel régional est mobilisé pour participer à l’effort de guerre et de nouveaux sites sont créés ex-nihilo.Un nouveau complexe métallurgiqueLa perte des régions de l’Est et du Nord prive la France de près de 30 % de sa production sidérurgique. Recréer un grand complexe métallurgique regroupant hauts fourneaux, fonderies et aciéries est impératif.Par ses capacités portuaires et sa situation géographique, la vallée de la Basse-Seine est la région la plus à même pour accueillir le nouveau complexe métallurgique dont la France a besoin. Mais ce choix nécessite d’importer la totalité des matières premières : le fer de Suède, d’Espagne et d’Algérie, le charbon d’Angleterre. C’est la première fois que de telles usines sont édifiées loin d’un bassin d’extraction. La société des Hauts Fourneaux de Rouen, créée en urgence à la veille du conflit, lance dès 1914 la construction de plusieurs hauts fourneaux à Grand- Quevilly, en bord de Seine. Le premier est mis à feu en août 1917. La production de fonte atteint rapidement 8 000 t/mois. A partir 1916, la Fonderie Lorraine implantée à Saint-Étienne-du-Rouvray, en amont de Rouen, fournit à l'armée plus de 100 000 obus par mois. La même année sont fondées les Aciéries de Grand-Couronne. Tous ces établissements utilisent les infrastructures portuaires de Rouen pour leur approvisionnement et leurs exportations.La chimie de guerreDéjà bien structurée avant-guerre, l’industrie chimique locale connaît un vif essor durant le conflit avec les demandes considérables en explosifs, gaz asphyxiants et enduits spéciaux... Comme pour la métallurgie, la Basse-Seine doit suppléer la perte des départements de l’Est et du Nord qui assuraient près de 30% de la production française d’acide sulfurique et de nitrocellulose, produits indispensables à la fabrication des explosifs.Alors que les usines chimiques existantes augmentent leur capacité de production (entre 1915 et 1917, la production d’acide sulfurique est multipliée par cinq passant de 4 000 à 20 000 t/mois), de nouvelles installations sont mises en service. En 1916, la compagnie Générale des Produits Chimiques de Normandie ouvre son usine de Grand-Quevilly. La même année, le ministère de l’Armement décide la création d’une importante poudrerie dédiée à la fabrication de mélinite et de phénol synthétique. Faute de terrains disponibles en aval de Rouen, l’usine est installée à Oissel, sur la Seine fluviale. En 1917, les établissements Kuhlmann adjoignent à leur usine d’acide sulfurique et de superphosphates de Petit-Quevilly des ateliers d’oléum et d’acide nitrique. Elle devient alors une des plus puissantes françaises dans le domaine.Les débuts de l’aéronautiqueLa Grande Guerre marque aussi les débuts de l’industrie aéronautique dans la Basse-Seine. En 1917, sous l’impulsion du ministère de la Guerre, Jean Latham (cousin du célèbre aviateur) crée à Caudebec-en-Caux la première usine d'hydravions de la Basse-Seine (la seconde sera fondée au Havre par Bréguet en 1931).L’implantation de cet établissement sur une large terrasse alluviale en rive droite de la Seine résulte d’études croisées tenant compte de la largeur du fleuve et de la force des vents dominants – car il faut pouvoir tester les appareils produits sur place. Ainsi, le montage des hydravions s’effectue dans un gigantesque atelier de plain-pied, en charpente métallique rivetée, qui s’ouvre directement sur la Seine pour permettre le lancement des appareils. En 1918, les établissements Latham entrent en activité avec une commande d’une trentaine d’hydravions destinés à la Marine nationale.La généralisation de l’électricitéDurant la Grande Guerre, l’électricité s’impose comme nouvelle force motrice de l’industrie. Dans la Basse-Seine, la production électrique augmente de 140 % entre 1914 et 1918. Cette progression spectaculaire s’appuie sur le renforcement de la puissance des centrales existantes et la mise en service de nouvelles unités comme celle de Grand-Quevilly qui assure dès 1913 l’alimentation de la rive gauche industrielle de Rouen. Mais face aux besoins croissants, la Société Havraise d’Energie Electrique lance en 1917, après autorisation du ministère de l’Armement, la construction d’une nouvelle centrale sur la Basse-Seine. Son choix se porte sur la commune de Yainville pour des raisons géographiques tenant compte du secteur à desservir. Mais l’implantation de l’usine en bord de Seine répond aux impératifs techniques récurrents : son approvisionnement en charbon et en eau par le fleuve. La centrale de Yainville, d’une, est mise en service en 1921 avec une puissance de 11 500 kW.Pétrole et papier durant l’entre-deux guerresLes grandes raffineriesLa situation de dépendance pétrolière qu’a connue la France pendant la Grande Guerre (faute d’avoir encouragé le raffinage sur son territoire) met en évidence la nécessité d’établir une politique nationale du pétrole. En mars 1928, deux lois sont adoptées pour détaxer les importations de brut et favoriser l’installation de grandes raffineries sur le sol français. L’effet de ces mesures est immédiat. Entre 1929 et 1934, quatre grandes raffineries sont mises en service sur la Basse-Seine : la société anglaise des Pétroles Jupiter (Shell) s’installe à Petit-Couronne, la compagnie Française de Raffinage (Total) à Gonfreville-l’Orcher, les sociétés américaines Vacuum Oïl Co et la Standard Franco Américaine de Raffinage (Esso-Exxon) s’implantent à Port-Jérôme. Avec ces quatre sites, la Basse-Seine assure 46% du raffinage en France et se positionne d'emblée comme le premier complexe pétrolier français.Plusieurs raisons ont conduit à l’implantation de cette industrie dans la Basse-Seine. La première est d’ordre stratégique. Après le bilan de la Grande Guerre (et avant que les événements de la Seconde Guerre mondiale ne le démentent) il semble que, parmi les régions industrielles situées au nord de la France, la Basse-Seine soit la seule hors d’atteinte en cas de nouveau conflit avec l'Allemagne. Mais les plus importantes sont d'ordre géographique. En 1928, l’essentiel du brut importé en France provient encore du continent américain - États-Unis et Venezuela. Le port du Havre, situé sur la façade maritime occidentale, est donc tout désigné pour le recevoir. Enfin, la proximité de la région parisienne, grande consommatrice de produits raffinés, à l'autre bout de la chaîne, a constitué également un facteur de localisation déterminant. L’avènement des grandes papeteries La progression constante de la consommation de papier journal va entraîner, durant l’entre-deux-guerres, un développement brutal de l’activité papetière dans la vallée de la Basse-Seine. En 1928, deux grandes papeteries spécialisées dans le papier journal sont construites sur les rives du fleuve : les Papeteries de la Chapelle s’installent en amont de Rouen, à Saint-Étienne-du-Rouvray, la Société Nouvelle de Papeterie, en aval, à Grand-Couronne. Leur présence consacre la vocation papetière de la Basse-Seine amorcée par la création de la papeterie Aubry et par la Fabrique Rouennaise de Cellulose, fondées toutes deux en 1907, à Canteleu et Grand-Quevilly.Le choix de Rouen tient à un double facteur : la possibilité d’importer par voie maritime des pâtes et grumes scandinaves et la proximité de la région parisienne, très grosse consommatrice de papier d’impression, elle-même alimentée par voie d’eau. Grâce à ces deux usines, une part importante de la production de papier journal en France provient alors de la région rouennaise.Reconstruction et développement de l’appareil industriel après la Seconde Guerre mondialeAlors qu’en 1914-18, la vallée de la Basse-Seine avait servi « d’arsenal » pour le pays et subi aucune destruction, elle connaît pendant la Seconde Guerre mondiale un tout autre sort. Son poids économique et son rôle déterminant comme axe de communication la désignent comme objectif militaire majeur, pour l’armée allemande comme pour les alliés. L’industrie régionale sort du conflit terriblement affaiblie. La première tâche qui s’impose en 1945 est la reconstruction de l’appareil industriel.Produire du bétonLes grands travaux de reconstruction consacrent l’hégémonie du béton et stimulent par conséquent l’industrie des granulats. La première grande cimenterie de la région est ouverte en 1970 sur la zone industrielle-portuaire du Havre en cours d’aménagement. Elle bénéficie là de la proximité de la carrière calcaire de Saint-Vigor-d’Ymonville et du fleuve qui lui sert à la fois de voies de communication et de ressource en eau. Au même moment, une dizaine de carrières de granulats alluvionnaires sont installées sur le lit du fleuve sur les boucles de Duclair et de Jumièges en aval de Rouen, sur celles de Poses et des Andelys en aval. La politique de construction des grands ensembles et des villes nouvelles des années 1960-70 renforce le phénomène. Avec une trentaine de sites fournissant plus de 8 Mt de granulats par an, la Basse-Seine assure seule 70 % de la production régionale.Développer la production d’électricitéLe programme de reconstruction prévu par le Plan Monnet (1947) se double d’un autre projet : l’accroissement de la production industrielle. Priorité est donnée aux secteurs de base, la production d’électricité en premier lieu.La nationalisation du secteur énergétique, avec la création d’EDF en 1946, facilite l’application du Plan. L’objectif est de faire progresser la production électrique de 23 à 37 milliards de kWh. Dans la vallée de la Basse-Seine, le programme prévoit la construction de trois centrales thermiques pour remplacer ou compléter les unités existantes. Une petite centrale, destinée à faire face à la surcharge du réseau local, est mise en service en 1949 à Canteleu, près de Rouen. Une autre, de plus grande puissance (350 MW), est installée à Yainville entre 1950 et 1956 pour remplacer la centrale primitive déclassée en 1951. Ce monument de l’industrie signé Jean Démaret, détruit en 1993, était le fleuron de l’architecture industrielle du XXe siècle. La troisième enfin est mise en service au Havre entre 1968 et 1983. Avec une puissance de 1 450 MW, la centrale havraise joue un rôle de régulation essentiel sur le plan national, notamment lors des périodes de forte consommation.Une nouvelle industrie : la pétrochimieDévelopper l’industrie du raffinage est aussi une priorité du Plan Monnet : la production des raffineries normandes ne cesse de progresser jusqu’au premier choc pétrolier. En 1972, leur capacité de raffinage atteint près de 54 Mt ! Les importations de brut se développent à l’avenant. Au Havre, le chiffre record est atteint en 1973 avec 63,6 Mt débarquées.Le développement des capacités de raffinage s’appuie sur l’introduction de nouvelles techniques de conversion durant les années 1950 : le craquage et le reformage catalytiques. Elles améliorent non seulement le rendement et la qualité des essences mais fournissent également une large gamme de sous-produits pouvant être valorisés, tels que l’éthylène, le propylène, le butylène, le naphta… L’écoulement de ces résidus dans des usines pétrochimiques constitue pour les raffineries normandes une opportunité de profit supplémentaire. C’est ainsi que la vallée de la Basse-Seine devient, après la Seconde Guerre mondiale la terre d’élection de l’industrie pétrochimique en France. Les premières usines sont installées en 1955 sur la rive gauche industrielle de Rouen à proximité de la raffinerie de Petit-Couronne par le groupe Shell-Saint-Gobain et la société Lubrizol. En 1958-59, neuf usines sont construites sur les deux zones industrielles du Havre et de Port-Jérôme à proximité des raffineries de Gonfreville l’Orcher et de Notre-Dame-de-Gravenchon. La tendance se poursuit durant la décennie suivante, faisant de la Basse-Seine le premier pôle pétrochimique français.Le complexe céréalier du port de RouenSuivant les prescriptions du Plan Monnet, l’agriculture française connaît une forte modernisation après-guerre. L’augmentation des rendements céréaliers nécessite la création d’un grand complexe portuaire pour développer l’exportation et écouler les surplus. Le port de Rouen, débouché naturel du Bassin parisien, est tout désigné pour accueillir ces installations. Deux premiers silos maritimes sont installés en 1958 et en 1961, à Grand-Couronne et sur la Presqu’île Elie à Rouen. La mise en place de la PAC en 1962 amplifie le mouvement : quatre nouveaux silos sont édifiés entre 1966 et 1977. Aujourd’hui, avec une dizaine de silos maritimes d’une capacité de stockage de 1,3 Mt et un trafic de plus de 8 Mt par an, Rouen constitue le premier port européen exportateur de céréales.Le chant du cygne de la construction navaleLa période n’est pas faste pour tous les secteurs d’activité. Passé l’âge d’or de l’après-guerre, marqué par la reconstruction et la modernisation des sites et l’afflux des commandes, la fin des années 1950 voit se profiler une nouvelle crise de la construction navale française. Confrontée à la concurrence étrangère par suite de l'ouverture des marchés imposée par le traité de Rome (1957), l’industrie navale française est mise à mal. L’État, qui assurait le soutien financier du secteur (Loi Defferre - 1951), est contraint de changer de politique. Les nouvelles directives, consignées dans Le livre blanc de la construction navale (1959), exigent la restructuration du secteur par une concentration de l’activité sur les sites les mieux équipés. L’objectif est de ne garder, à terme, qu’un seul chantier par façade maritime. Les chantiers de fond d’estuaire, comme ceux de la Basse-Seine, sont les premiers touchés. Anticipant la nouvelle politique, les Chantiers de Normandie avaient amorcé leur sauvetage en fusionnant dès 1955 avec les Chantiers Réunis de Loire-Normandie. Les chantiers du Trait font de même en 1966 en intégrant ceux de la Ciotat. Malgré tous les efforts mis en œuvre pour contourner les prescriptions nationales, les chantiers du Trait sont obligés de se reconvertir dans la production d’équipements industriels en 1970. Les Chantiers de Normandie résisteront jusqu’en 1987 grâce aux aides de l’État. En 2000, la fermeture des Ateliers et Chantiers du Havre signe la fin de la construction navale dans la Basse-Seine.Décentralisation industrielle et aménagement du territoireLes politiques nationales de décentralisation industrielle et d’aménagement du territoire mises en place durant les Trente Glorieuses marquent une nouvelle étape de développement industriel de la Basse-Seine avec l’introduction de l’industrie automobile et la constitution des grandes zones industrialo-portuaires.Les usines Renault et la sous-traitance automobileLa décentralisation industrielle mise en œuvre à partir des années 1950 a des répercussions considérables sur la vallée de la Basse-Seine. L’expérience démarre véritablement avec redéploiement des usines Renault le long du fleuve, en aval de Billancourt, berceau d’entreprise. Sur cet axe sont créées des unités spécialisées organisées dans une logique d’ensemble.Après la création de l’usine de Flins en 1952, le processus se poursuit plus aval dans la Basse-Seine, avec la mise en service en 1958 de l’usine de Cléon spécialisée dans la fabrication de moteurs et de boîtes de vitesses, puis par la création en 1964 de l’usine de carrosserie-montage de Sandouville. Le processus s’achève en 1975 avec l’implantation, à Grand-Couronne, d’une plate-forme d’expédition de pièces détachées. Avec des effectifs de 4 à 5000 personnes, les usines Renault de Cléon et Sandouville comptent parmi les plus gros employeurs de la Basse-Seine.La réorganisation de la production au lendemain de la crise pétrolière entraine le recentrage des constructeurs, tels que Renault, sur leurs activités initiales et la gestion en flux tendu. Les opérations ne relevant pas du cœur de métier (confection des sièges, pare-chocs, pots d’échappement, tableaux de bord…) sont externalisées et confiée en sous-traitance à des équipementiers. La condition essentielle de ce transfert d’activité se base sur une synchronisation parfaite des partenaires, calés sur le rythme du constructeur. Cette organisation dite en « juste à temps » contraint les fournisseurs à s’implanter au plus près du donneur d’ordre, afin de réduire au minimum les délais et les coûts de transports. Ainsi, autour de l’usine de Sandouville s’est constitué un parc industriel d’une dizaine d’entreprises travaillant dans une relation d’interdépendance avec Renault.La ZIP du havreLa décentralisation industrielle n’ayant pas eu tous les effets escomptés, le gouvernement décide de renforcer son action par la mise en œuvre d’un vaste plan d’aménagement du territoire. Le Schéma d’Aménagement de la Basse-Seine est approuvé en décembre 1969. Parmi ses grandes orientations figure la création de zones industrialo-portuaires de dimension internationale. Celle du Havre, délimitée par le canal de Tancarville au nord et le Grand Canal au sud, est officialisée. L’Etat finance jusqu’à 80 % les travaux les plus lourds : le creusement du Grand Canal du Havre et du canal de jonction, l'écluse géante François Ier. La consolidation des terrains est prise en charge par le Port du Havre qui assure la gestion de la zone. A l’issue des travaux, la ZIP du Havre offre une réserve foncière de 10 000 ha, ce qui en fait l’une des plus vastes d’Europe. Vouée initialement à accueillir un grand complexe sidérurgique (sur le modèle de Dunkerque), elle se spécialise finalement dans la pétrochimie, prolongeant le mouvement amorcé dans les années 1950. La présence de Renault, d’Aircelle (construction aéronautique) et de la cimenterie Lafarge assurent néanmoins une diversification des activités, de même que le trafic conteneurs, spécialité du port du Havre depuis la fin des années 1960.Le développement du trafic conteneurL’avènement des navires porte-conteneurs, au milieu des années 1960, bouleverse de façon radicale le trafic maritime et fluvial. Ce concept simple, inventé durant la décennie précédente par le transporteur américain Malcom Mc Lean, repose sur un système de transport maritime et terrestre standardisé, utilisant des équipements normalisés à l'échelle mondiale : des conteneurs identiques et des portiques de déchargement bâtis sur le même modèle. Les atouts sont nombreux par rapport aux cargos traditionnels : simplification du transbordement, réduction du temps d’escale et du coût de transport. Autre avantage et non des moindres : les marchandises ne transitent plus seulement de port à port, mais depuis leur lieu d’expédition à leur point de livraison, sans rupture de charge.Le Port du Havre, conscient des perspectives augurées par ce concept révolutionnaire, décide de se spécialiser dans la réception des porte-conteneurs. Le schéma d’extension du port, élaboré dans les années 1960, prévoit la réalisation de plusieurs terminaux à conteneurs connectés aux réseaux ferroviaires, fluviaux et autoroutiers. Un premier terminal est aménagé sur le quai de Floride en 1966. Suivra dans la foulée la mise en service des terminaux de l’Atlantique et de l’Europe en 1970 et en 1974. Mais tous trois connaissent très rapidement un phénomène de saturation suite au doublement du trafic-conteneur entre 1972 et 1977. La création de nouveaux terminaux s’avère d’autant plus nécessaire que le port du Havre doit pouvoir accueillir des navires de plus en plus gigantesques. L’ouverture en 1983 du terminal de l’Océan, doté d'un front d’accostage de 1 700 m et d'un terre-plein de 80 ha, s’inscrit dans ce contexte. Face aux exigences de compétitivité, le port du Havre lance, en 1986, un nouveau plan de développement, axé sur la construction de deux terminaux « rapides » : les terminaux de Normandie et des Amériques, mis en service entre 1992 et 1995. Malgré ces infrastructures qui totalisent 2,3 km de quai et 196 ha d’aire de stockage, l’accroissement du trafic-conteneur nécessite la mise en place du projet Port 2000 déclaré d’intérêt national. Cet immense terminal, directement implanté sur l’estuaire, doit accueillir les plus grands porte-conteneurs du monde (des navires de plus de 340 m de long et 15 m de tirant d’eau), permettre le triplement du trafic conteneur du Havre, et faire du port normand un concurrent sérieux face aux grands ports de la Mer du Nord.Et l’habitat ouvrier...L’industrialisation de la vallée de la Basse-Seine ne se traduit pas uniquement par la création le long du fleuve de grands complexes de production, usines, entrepôts, réseaux.... Elle va avoir pour corollaire un phénomène d’urbanisation des rives tout aussi prégnant dans le paysage fluvial. Ce phénomène peut prendre des formes très différentes. Il se traduit soit par une densification « naturelle » de l’habitat dans le tissu urbain existant, soit de façon plus frappante par la création ex-nihilo de grandes cités ouvrières certaines constituées sur le modèle de cités-jardins. Cette dernière solution s’impose de façon impérieuse lorsque les entreprises, soucieuses de loger l’ensemble de leur personnel ouvrier et encadrant à proximité de leurs usines, s’implantent dans des secteurs où les ressources locales en logement sont inexistantes.Parmi les nombreux exemples de cités ouvrières créées dans la Basse-Seine, celles de Mayville près du Havre, de la Petite Campagne à Notre-Dame-de-Gravenchon ou encore celle du Trait, associant habitat et équipement avec une architecture de style régionaliste, comptent parmi les réalisations les plus abouties.Le poids économique de la vallée de la Basse-Seine au début des années 2000Le long processus d’industrialisation qui s’est opéré au cours des XIXe et XXe siècles a fait de la vallée de la Basse-Seine le plus grand complexe industrialo-portuaire français, et un pôle économique de première importance dans l’Europe de l’Ouest. Les chiffres sont éloquents. Avec un trafic cumulé de 102,2 Mt en 2007, représentant 1/3 du trafic maritime national, les ports du Havre (80Mt) et de Rouen (22,2Mt) représentent le premier doublet portuaire français devant celui de Marseille-Fos.Le trafic du port du Havre est principalement axé sur l’importation de pétrole brut et sur le trafic des conteneurs. Le premier, de l’ordre de 37 Mt/an, confirme la vocation pétrolière du Havre et son rôle stratégique dans la politique pétrolière nationale. En effet, 40% des importations pétrolières du pays transitent par les terminaux du Havre et d’Antifer. Le terminal pétrolier du Havre, avec près de 110 réservoirs géants d’une capacité d’entreposage de 4,4 M de m3, constitue la plus grande réserve d’hydrocarbure en France. Avec un trafic de conteneurs de 28 Mt en 2007, Le Havre est de loin le premier port français dans ce domaine, assurant à lui seul plus de 60 % du trafic national. Vigueur renforcée par la mise en service, en 2006, du terminal géant Port 2000. Le port du Havre est aussi le premier port français pour le trafic roulier : près de 500 000 véhicules y transitent chaque année, dont plus de 80 % à l'exportation.L’activité du port de Rouen est, pour sa part, plus diversifiée et complémentaire de celle du Havre. Le trafic céréalier, de l’ordre de 8 Mt/an, place le port de Rouen au premier rang européen pour l’exportation des céréales. Grâce à la présence sur son territoire de puissantes industries, il se positionne également comme premier port français pour l’exportation des engrais chimiques (376 000 t en 2007), des produits papetiers (491 000 t en 2007) et au second rang pour les produits pétroliers raffinés (9,5 Mt en 2007) et pour l’importation des produits forestiers, bois et pâte à papier (287 000 t en 2007).Les trois grandes raffineries implantées sur la vallée de la Basse- Seine, à Petit-Couronne (Shell), à Gonfreville-l’Orcher (Total) et à Port-Jérôme (Exxon-Mobil) représentent un complexe unique en France. Sa capacité totale de raffinage, de l’ordre de 35 Mt par an, dépasse largement celle du complexe des Bouches-du-Rhône, fort pourtant de quatre raffineries. Ainsi la vallée de la Basse-Seine assure-t-elle, seule, 40 % de la production française d’hydrocarbures. La raffinerie de Normandie (Total) avec une capacité de 16 Mt par an, constitue en outre la plus puissante raffinerie française. Fort de ce potentiel, la vallée de la Basse- Seine s’impose également comme premier pôle pétrochimique français, avec 86 % de la production nationale d’huiles de base, 68 % d’additifs de lubrification, 50 % des plastiques de base et 25% des oléfines. Le secteur pétrolier représente un peu plus de 10 000 emplois sur la vallée de la Basse-Seine (2 800 pour le raffinage, 7 200 pour la pétrochimie). Concernant les carburants, c’est sur la vallée de la Basse-Seine, à Grand-Couronne, qu’a été édifiée la première usine française de Diester (biocarburant à base de colza). Sa capacité de production de 250 000 t/an devrait doubler à l’horizon 2010. Dans le domaine des engrais, la vallée de la Basse-Seine possède avec l’usine Grande Paroisse de Grand-Quevilly, la plus grande unité de production européenne de fertilisants chimiques. Les établissements Renault de Cléon et de Sandouville constituent, avec plus de 4 000 salariés chacune, les deux plus gros employeurs de la région. Par ailleurs, la plate-forme logistique de Grand-Couronne, créée par le même constructeur pour exporter des pièces automobiles vers ses usines de montage du monde entier, est la seule de ce type en France. Avec les grandes papeteries de l’agglomération rouennaise et celle d’Alizay dans l’Eure, la vallée de la Basse-Seine se positionne comme la troisième région papetière de France.Ce tissu industriel dense et diversifié présente, en outre, des caractéristiques communes. Les établissements implantés sur les rives du fleuve sont tous des complexes de grande taille relevant de grands groupes nationaux et internationaux. La part des capitaux étrangers est particulièrement forte dans le secteur du raffinage et de la pétrochimie, mais également dans celui de la chimie lourde et du papier.Suite à ce formidable processus d’industrialisation, et en dépit des multiples crises sectorielles, la vallée de la Basse-Seine avec ses trois bassins dominants (Le Havre, Port-Jérôme, Rouen) est devenue l’un des plus puissants pôles économiques de l’Europe du Nord-Ouest. Enfin, le projet Axe-Seine, initié en 2009, réaffirme le rôle stratégique de la vallée de la Basse-Seine dans le positionnement du Grand Paris comme territoire économique intégré suffisamment puissant pour peser dans la compétition internationale mondialisée.
2004
(c) Région Normandie - Inventaire général
2008
Real Emmanuelle
Présentation de l'aire d'étude
Région Normandie – Service Inventaire du patrimoine