Urbanisme et espaces aménagés ; secteur urbain ; quartier
Secteur urbain de la seconde reconstruction
Grand Est ; Vosges (88) ; Saint-Dié-des-Vosges ; place du Général-de-Gaulle ; rue Thiers ; rue Dauphine ; rue Stanislas
Général-de-Gaulle (place) ; Thiers (rue) ; Dauphine (rue) ; Stanislas (rue)
20e siècle
20e siècle
1945 ; 1957
En novembre 1944, les Allemands battent en retraite et quittent Saint-Dié. Dans le mouvement, ils détruisent le centre historique de la ville (politique de la terre brûlée : sur 3 339 immeubles, 3 144 sont totalement ou partiellement détruits et plus de 10 500 habitants sont déclarés sinistrés). De nombreux équipements publics, centres commerciaux et usines sont dévastés. À la Libération, la municipalité et le ministère de la Reconstruction de l’Urbanisme (MRU) doivent répondre à de nombreuses urgences : reloger provisoirement les sinistrés (1945-1946) tout en réfléchissant aux normes des logements pérennes, activer le déminage et le déblaiement tout en assurant le bon déroulement des chantiers, concevoir des plans de reconstruction qui tiennent compte des schémas préexistants, des remembrements et des nouveaux besoins. Saint-Dié connaît alors des transformations importantes à l’image de nombreuses villes françaises, de grandes ou de petites dimensions, comme Orléans, Le Havre, Amiens, Toulon, La Rochelle ou Abbeville. On observe néanmoins une rapidité d’exécution plus grande dans le Grand Est, et particulièrement dans Les Vosges, prêt plus tôt à recevoir les crédits du MRU. Dans le cas de Saint-Dié, la ville avait déjà connu une reconstruction au XVIIIème siècle (plans de Stanislas Leszczynski en 1757) suite à un violent incendie. Architecturalement, la période de la Reconstruction est un temps de débat et de remise en cause des trames traditionnelles mais aussi des principes de la modernité, confrontés aux usages et à des temps de mise en œuvre très rapides. De ce point de vue Saint-Dié est un exemple particulier puisqu’il voit s’affronter des personnalités locales éminentes, comme Jacques André, et un architecte célèbre avide de faire enfin triompher ses principes, Le Corbusier. Dès la fin de la guerre, Jacques André propose ses services au MRU. Il est nommé architecte-urbaniste responsable de la reconstruction de Saint-Dié en février 1945. En parallèle, sous l’impulsion d’un jeune industriel local nommé Jean-Jacques Duval, l’une des associations de sinistrés charge Le Corbusier de concevoir un plan d’urbanisme. A force de persuasion, le 19 avril 1945, la municipalité nomme Le Corbusier architecte-urbaniste-conseil de la ville. Le plan d’urbanisme de Le Corbusier pour Saint-Dié est l’un des premiers projets qui marqueront la reprise de l’agence de la rue de Sèvres après la Seconde Guerre mondiale. L’architecte a alors l’occasion tant espérée d’appliquer certains de ses principes les plus radicaux publiés dans Les Trois Établissements humains (1945). Au centre de ses réflexions se trouvent l’importance de l’air, de la lumière, de la nature et des beaux paysages. Le plan est centralisé autour d’un noyau ouvert où se situent les services publics (mairie, préfecture), les établissements de loisirs (théâtre, musée à croissance illimitée, restaurants) et la cathédrale, qui doit être restaurée. En septembre 1945, Le Corbusier propose à Jacques André de collaborer à son propre projet. Celui-ci refuse et finit par démissionner, bien qu’il fût admirateur de l’œuvre de Le Corbusier. Il n’a pas apprécié, comme d’ailleurs le ministre de la Recustruction et de l’Urbanisme, la manière dont Jeanneret s’était introduit dans ce dossier. L’architecte est par la suite lui-même confronté au refus, et n’est plus suivi par la municipalité. Les habitants et les architectes de Saint-Dié, favorables au plan de l’architecte local Paul Résal, se montrent plus attachés à une reconstitution à l’identique des îlots anciens et à la présence d’habitats individuels, qu’à un plan moderniste dominé par huit unités d’habitation, pour 10 500 habitants, entourées de verdure. Finalement, le 3 février 1946, l’inspecteur régional de l’Urbanisme, Raymond Malot, présente un nouveau projet, plus respectueux des anciens tracés, au conseil municipal. Georges Michau, qui remplace Jacques André, est chargé de le mener à bien en tant qu’architecte en chef de la reconstruction de Saint-Dié.
Contre le remembrement total proposé par Le Corbusier, Raymond Malot, suivant l’avant-projet de Jacques André, propose un plan mémoriel, qui rappelle le tracé d’avant-guerre, avec sa croisée d’axes au centre. La rue Thiers, par exemple, est l’un des axes historiques de la ville depuis sa fondation par saint Déodat au VIIe siècle. Elle permet de relier la Meurthe à la cathédrale et à la place du Général-de-Gaulle. De nombreux édifices publics de première importance se trouvent à proximité. Elle est coupée perpendiculairement par deux rues – la rue Stanislas à l’ouest et la rue Dauphine à l’ouest – qui, elles aussi, sont en partie reconstruites sur le modèle établi par Jacques André et Raymond Malot. Ce modèle est basé sur une succession répétitive d’immeubles bas de cinq niveaux (R+4) présentant des toits à longs pans. Ces édifices sont immédiatement identifiables grâce à leur béton teinté en rose, rappelant le grès rose des Vosges. Les élévations présentent une répartition tripartite avec un rez-de-chaussée commerçant protégé par une marquise plate continue, trois étages nobles pour les logements et un niveau de greniers sous combles signalé en façade par des baies triangulaires. Seuls les appartements du troisième étage bénéficient d’une terrasse, d’un mètre de largeur environ, protégée par un garde-corps métallique. L’avancée des terrasses repose sur une corniche couronnant le relief en façade du premier et du deuxième étage. Par rapport à l’ancien gabarit, les immeubles ont gagné un étage afin de tenir compte de la réduction des parcelles et des surfaces constructibles. L’homogénéité des quatre îlots centraux est appuyée par l’horizontalité marquée des façades où se superposent des bandeaux pleins de couleur rose et des parties pleines de couleur banche entrecoupées de baies rectangulaires. La rue Thiers repend alors les caractéristiques de nombreuses localités vosgiennes reconstruites avec ses façades ordonnées, ses chaînages d’angle travaillés, les lignes géométriques de ses encadrements de baies et ses corniches de toit en surplomb. Les façades des îlots regardant vers la cathédrale présentent quelques différences. La hauteur des immeubles est abaissée à trois niveaux (R+2) et l’horizontalité précédente laisse place à de fins poteaux verticaux de couleur blanche hauts de deux niveaux. Le confort moderne symbolisé par l’eau courante et les sanitaires intérieurs, auparavant réservé aux couches les plus aisées et aux grands villes, se généralise peu à peu. Les logements deviennent des machines performantes avec chauffage, éclairage électrique et naturel et équipements électroménagers.
"A l’instar de nombreuses villes françaises après la Seconde Guerre mondiale, Saint-Dié (devenue Saint-Dié-des-Vosges en 1999), dévastée par les bombes en novembre 1944, connaît une reconstruction quasiment totale de son centre-ville, entraînant préalablement de nombreuses réflexions sur les partis pris à adopter et les choix à réaliser en matière d’urbanisme. L’histoire de la reconstruction de la ville – particulièrement complexe et étudiée –, probablement la plus célèbre de Lorraine et aussi l’opération de reconstruction la plus conséquente de la région, est restée liée à la figure de Le Corbusier qui s’oppose aux architectes locaux que sont Jacques André et Raymond Malot, chargés officiellement par le M.R.U. de la reconstruction de la ville. Si Le Corbusier propose pour la ville un projet-pilote de reconstruction ambitieux et très moderne, dans la lignée de ses théories développées dans la Charte d’Athènes, ce sont finalement des choix plus traditionnels qui sont approuvés, soulignant combien les reconstructions en Lorraine conservent dans leur majorité des caractères classiques dans l’écriture architecturale des façades et dans l’organisation du bâti. Reprenant le tracé historique de la ville, les architectes-urbanistes optent pour des alignements rigoureux d’immeubles mitoyens en plan d’équerre, donnant un effet visuel saisissant, et proposent des bâtiments aux façades rythmées par des baies marquées par leur encadrement de béton, par les balcons et par la bande de commerces du rez-de-chaussée protégée par un large auvent filant ; alignements très différents de ceux proposés par Le Corbusier. Utilisant également le grès des Vosges et des enduits de teinte rosée, ils réinterprètent la tradition locale en apportant une identité forte à ce centre-ville – encore bien homogène aujourd’hui – et non dénué de confort et de modernité."
2015
Privé
2020
La Manufacture du Patrimoine / Guilmeau Stéphanie ; Burtard Alexandre ; Joly Rebecca ; Mathiotte Olivier
Dossier individuel