Urbanisme et espaces aménagés ; secteur urbain ; secteur urbain concerté ; grand ensemble
Cité du Liégat
Île-de-France ; Val-de-Marne (94) ; Ivry-sur-Seine ; 20-36 bis rue Gabriel Péri ; 134-148 avenue Danielle Casanova
Gabriel Péri (rue) 20-36 ; Danielle Casanova (avenue) 134-148
N 266 ; N 232
20e siècle
20e siècle
1975 ; 1982
Le Liégat constitue un ensemble emblématique de la deuxième partie de la carrière de Renée Gailhoustet, que l’historienne Bénédicte Chaljub situe entre 1971 et 1986 : avec la Maladrerie à Aubervilliers (1975-1985), la ZAC du centre-ville de Saint-Denis (1977-1985) et l’ensemble du Marat (1977-1986) à Ivry, le Liégat compose une nouvelle étape de son parcours d’architecte, témoignant de son exploration personnelle des principes inventés par Jean Renaudie. Par sa typologie originale, le Liégat marque également sa prise de distance avec l’influence corbuséenne, encore très prégnante dans les exemples de tours qu’elle a précédemment construites à Ivry. Comme dans les premières tranches de l’ensemble de la Maladrerie à Aubervilliers, construites entre 1977 et 1980, ou encore dans le projet non réalisé pour Drancy en 1979-198032, Renée Gailhoustet invente une nouvelle disposition des logements en éventail. Le Liégat affirme donc d’abord la continuité des règles de conception des années 1970, avec sa mixité programmatique, son développement de l’espace d’habitation à plan libre et son élévation à niveaux échelonnés selon le principe de la pyramide. Dernier de cette famille, il incarne aussi la transition progressive vers une évolution des conditions de production et la réduction de l’échelle des commandes, qui précèdent de justesse un retour à une forme urbaine plus proche de l’immeuble, et que Bénédicte Chaljub appelle la « transfiguration » du modèle de Renaudie. Cela se manifeste plus clairement au Marat, à Villejuif (1978-1981) et dans les dernières tranches de la Maladrerie, étudiées à partir de 1980 et construites entre 1983 et 1985.
Situé au nord du centre Jeanne Hachette et de la place Voltaire, l’ensemble du Liégat se compose d’un seul corps de bâtiment édifié sur un sous-sol et un rez-de-chaussée sur lequel viennent se greffer les volumes en hauteur, construits en gradins successifs, desservis par huit escaliers. L’ensemble déploie une façade qui s’étire le long de la rue Gabriel Péri suivant un axe nord-ouest/sud-est. Si sur la voie, l’implantation à l’alignement est respectée, côté intérieur d’îlot, c’est l’étagement successif des terrasses privatives qui est privilégié, formant ainsi la façade à gradins, appelée couramment le type collinaire ou pyramidal, inventé par Renaudie. Excluant la voiture, René Gailhoustet créé un ilot traversant parcouru par des allées piétonnes et ponctué d’espaces plantés, qui assurent une relation harmonieuse avec la ville. La promenée du Liégat constitue la circulation principale entre la rue Gabriel Péri et l’avenue Casanova, permettant de relier les divers points d’entrée aux logements, commerces et ateliers. Apparentée à une galerie semi-abritée, elle est ponctuée de placettes végétalisées, favorisant la transition entre l’espace public et les espaces privés, eux-mêmes généreusement végétalisés. « L’omniprésence du végétal contribue à lui conférer les qualités d’un parc habité », telle une surprise en plein centre-ville. Cette promenée annonce également les jeux d’interpénétration entre intérieur et extérieur qui caractérisent les logements, indissociables de leurs terrasses ou patios. Le plan-masse résulte des recherches de l’architecture combinatoire développée précédemment par Jean Renaudie dans ses ensembles pyramidaux. À la géométrie triangulaire de celui-ci, Gailhoustet préfère des tracés circulaires, le cercle et ses tangentes, avec une trame sous-divisée en triangles équilatéraux (3,50 m) et rectangles (7x3,50 m), superposés en gradins. Développé d’abord dans le cadre du Programme d’architecture nouvelle (PAN) en 1974 et issu des trames géométriques proposées dans l’ouvrage de mathématiques de Keith Critchlow, Order in Space. A Design Source Book (Londres, Thames and Hudson, 1969), ce principe de la trame circulaire s’inspire aussi des recherches fondées sur la figure du cercle de Jean Renaudie pour le village de vacances de Gigaro (Var) en 1963-1964, mais finalement non concrétisées telles quelles. Les commerces et les ateliers occupent le rez-de-chaussée, les seconds se développant sur une double hauteur avec souvent une mezzanine puis un accès au logement en duplex. Les parkings sont situés en sous-sols. Suivant la méthode de conception à contre-courant de Jean Renaudie, la différenciation des logements préside à la réalisation des plans. Pas de plan-type donc, chaque logement présentant des dispositions uniques. Aboutissant à un agencement des logements à patios central en éventail, les formes courbes générées par la trame circulaire permettent une variété inédite des plans et des orientations, tant des logements que de leurs terrasses : « La disposition de la trame sur la grille concentrique de combinaisons orthogonales et triangulaires permet de jouer de l’interpénétration de formes cylindriques de diverses dimensions ». La distribution contrevient ainsi aux archétypes conventionnels : plans ouverts, à orientations multiples et plusieurs niveaux, décloisonnement, pièces à géométrie singulière, volumes biais, continuités visuelles, perspectives, espaces lumineux en duplex ou triplex, escaliers sculpturaux… Refusant l’empilement répétitif des modules identiques, la réflexion repose sur une vision humaniste du mode d’habiter, libre et évolutif. « Habiter est une affaire privée » nous dit Renée Gailhoustet : les dispositions spatiales du logement doivent laisser la liberté d’inventer de nouveaux usages au long de la vie du foyer et de ses besoins, procurant de cette manière le sentiment du « chez soi ». Certains principes directeurs sont néanmoins observables : les cuisines sont ouvertes, les séjours ont une fonction distributive, la plupart des chambres sont les seuls espaces fermés (avec les WC et les salles de bain) et de surface modeste, au bénéfice d’espaces ouverts communs aux occupants. Les plans proposent ainsi des « dégagements », qui ne sont pas des entrées, mais des espaces non déterminés et spacieux pour lesquels chaque occupant assigne une ou des fonctions. Ces dégagements peuvent ainsi être utilisés comme espace de jeu pour les enfants, espace de travail, espace de repos… Les plans fournissent également des alcôves et recoins qui, tout en restant techniquement ouverts sur l’ensemble, cassent la continuité visuelle et permettent des espaces plus intimes. Enfin, tous les logements disposent de loggias, de patios ou de terrasses à ciel ouvert et plantées en pleine terre. Ouverts vers l’extérieur ou vers l’intérieur, ils offrent des espaces de vie additionnels aux occupants. Traités tantôt comme des jardins privatifs, tantôt comme des lieux de rencontre entre voisins, ils se comprennent comme une forme de couture entre le logement et la ville. Individuelles et mitoyennes, les terrasses en gradins favorisent non seulement les échanges entre les habitants mais aussi les vues de l’un vers l’autre. Capital, ce point est consubstantiel de l’habitat collinaire, tel qu’il a été conçu par Jean Renaudie et René Gailhoustet et traduisant une « synthèse réussie entre les dimensions collectives et individuelles ». Outre un mode d’habiter inédit dans les ensembles de logements collectifs, les terrasses sont aujourd’hui encore très appréciées par leurs occupants, particulièrement lors des jours de canicule. Le Liégat consiste en une structure traditionnelle en béton, de poteaux-poutres coulés sur place et dalles (planchers et façades) préfabriquées par l’entreprise Hervé. Par ce choix, Renée Gailhoustet (et Jean Renaudie) se distinguent de leurs contemporains, tentés par la combinatoire d’éléments industrialisés reproductibles (Team 10, Andrault et Parat, Kalisz etc). La trame de triangles et rectangles que dessine Renée Gailhoustet est utilisée à la fois pour les cloisonnements intérieurs et extérieurs. Les points porteurs, réduits au minimum, libèrent le plan des logements, qui résulte d’une imbrication hexagonale et dodécagonale – selon que l’on compte au niveau du noyau des logements ou bien à celui de leur périphérie – de poteaux-poutres. L’architecte produit ainsi sa propre grammaire spatiale, le plan libre étant explicitement revendiqué au Liégat. Traitement des façades Après décoffrage, le béton est laissé brut, rappelant la nudité corbuséenne du matériau. S’ajoutent à la puissance plastique de ce dernier, le jeu des volumes, la découpe des ouvertures, le rapport des pleins et des vides. L’importance des surfaces vitrées et la configuration en gradins, avec ses effets de ponts ou surplombs, dégagent des vues pour les habitants, multipliant les perspectives. Les façades ne sont donc pas faites pour être vues uniquement depuis la rue, mais depuis n’importe quel point de l’immeuble. Ceci explique sans doute le soin porté au traitement des menuiseries en bois, en un jeu de contraste avec le béton brut : couleurs différenciées pour les huisseries dormantes ou ouvrantes, épaisseur produisant des effets d’ombre, garde-corps, etc.
"Un exemple de la postérité des recherches architecturales innovantes en matière de logement collectif en périphérie parisienne, notamment des réalisations pyramidales de Jean Renaudie à la fin des années 1960 (centre Jeanne Hachette et immeuble Danielle Casanova à Ivry-sur-Seine). Appartient à un ensemble historiquement homogène, aux typologies de logements contrastées (les tours et ensembles pyramidaux) et, plus spécifiquement à la seconde phase du laboratoire d'expérimentation urbaine et architecturale de retentissement international que fut l'opération du centre-ville d'Ivry-sur-Seine, soutenu par une maîtrise d'ouvrage éclairée. Contre le gigantisme des grands ensembles, une alternative politiquement engagée en faveur de l'amélioration du cadre et des conditions de vie des populations modestes et reposant sur une vision humaniste du logement social, à contre-courant de la production de masse, et qui veut favoriser les relations sociales en brisant la monotonie des barres et des tours standardisées. Par sa proximité typologique avec les expérimentations de l’habitat intermédiaire en Île-de-France, le Liégat propose une autre manière d’habiter la banlieue dense – une pensée sur la ville originale. Notoriété de la signature, longtemps sous-estimée, et œuvre d’une des rares femmes architectes indépendantes. Variété formelle due à un parti inédit, fondé sur la géométrie circulaire en plan et originalité distributive des logements, toutefois empreinte de l’héritage du mouvement moderne (plan libre, pilotis dégageant des circulations, toits-terrasses, façades libres). Qualité des espaces domestiques – en duplex, semi-duplex, triplex. "
Composition urbaine et paysagère « collinaire », un seul corps de bâtiment à gradins où la végétation tient une place essentielle. Compacité du plan-masse, en rupture avec la charte d'Athènes. Composition plastique et jeux de volumes, effets d'étagements et de retraits, percements des baies et découpes des ouvertures en général, expression brutaliste des façades, rapport du végétal au minéral, revêtements (dalles et pavés). Les espaces semi publics /privés, notamment les espaces plantés, galeries, escaliers, cheminements piétons, les vues et jeu d'interpénétration entre intérieurs et extérieurs qu'ils entretiennent. Les terrasses et patios, motif architectural d'actualité très apprécié et à forte valeur d'usage pour les habitants.
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Mixte
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